Tout un roman

On savait depuis longtemps où ça allait se dérouler : en Angleterre et à Cardiff. Maintenant, depuis dimanche midi, on sait avec qui on y va. Marcoussis était verrouillé comme un bunker à quelques minutes de l’annonce des trente-et-un, et ce n’est pas difficile tellement le CNR ressemble à un centre de détention. Le secret était bien gardé. Petit, le secret. Chiocci, Vahaamahina et Goujon allaient rejoindre leurs clubs respectifs pour la deuxième journée du Top 14, couru d’avance. Plus compliqué pour les deux autres. Même si Saint-André et Lagisquet n’ont pas eu beaucoup des doutes.
Guitoune arrière-ailier-centre, Fickou et Fofana ailiers-centres, Dulin et Huget arrières-ailiers… Rémi Lamerat a payé sa non-polyvalence, et son profil identique aux brise-lignes Bastareaud et Dumoulin. Ce qui fait buzz (on disait débat avant l’existence des réseaux sociaux), c’est surtout l’éviction de François Trinh-Duc. J’ai déjà donné mon avis et étayé mes explications par ailleurs. Juste ajouter qu’il est le seul à avoir déçu consécutivement deux coachs nationaux. Il y a donc bien quelque chose qui ne le rend pas indispensable en bleu.
La vie de cette liste est un roman, désormais.* L’aventure peut commencer. Parce qu’une Coupe du monde, c’est une traversée, avec ses tempêtes et ses mers d’huile, ses coups de gueule et ses coups de mou. Sept semaines où les caractères, même et surtout s’ils sont mauvais, réveillent le groupe quand il est assoupi, trop sûr de lui ou timoré, selon. Il faut de fortes personnalités, des leaders, des déconneurs mais surtout des gros cœurs. Pour s’envoyer sur la ligne de front, ensemble, solidaires. Pour susciter de l’émotion, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’équipe. Des mecs qui veulent transmettre.
En attendant, PSA est à l’heure au premier rendez-vous qu’il avait fixé. Battre l’Angleterre au Stade de France le 22 aout. C’est fait. 25-20. Soixante minutes bleues, dix minutes blanches et un petit remous au milieu. Beaucoup de stress sur la fin. Il ne fallait pas que ça dure une minute de plus. J’ai pris beaucoup de plaisir sur l’essai bleu. Passage intérieur de Michalak – monsieur records -, jaillissement d’Huget dans le dos, cad-deb’, accélération, raffut et plongeon. 
Il reste quelque chose de frustrant – le mot est faible, mais je choisis le moindre – à l’issue de ce week-end et en attendant le prochain. En tant que Rochelais, emmailloté de l’âge de 7 ans jusqu’à mes 18 ans, éduqué rugbystiquement par MM. Puyfourcat, Bas, Courthès, Mabillon et Gallo sur le terrain annexe de Deflandre (du béton à l’automne, un bourbier en hiver), puis à La Grenouillère. L’essentiel de ce que je sais sur le rugby, je l’ai appris au Stade Rochelais.
Alors entendre ces tribunes sur lesquelles j’ai posé mes fesses siffler leur équipe dès qu’elle a eu les crampons dans la vase, soit au bout des vingt premières minutes de la saison, puis l’ensevelir sous une énorme bronca après un naufrage à quarante points, ça m’a filé la honte. Honte d’être rochelais. Des pseudos supporteurs que ceux-là. Sans parler d’une équipe avec seulement quatre gamins du centre de formation, un agglomérat mal joint qui a perdu l’ADN du club (combat, solidarité, pugnacité) durant l’été. Ça fait mal au belou de Laleu que je suis. Le Stade Rochelais serait-il devenu un club pro comme les autres ? En tout cas, je me pose trois questions : il vaut mieux 7 000 passionnés et connaisseurs en ProD2 ou 15 000 voyeurs vociférants en Top 14 ? Au risque d’y perdre son âme ? Et au final pour quel bénéfice, quel lien ? Faustien.
* «La vie de Liszt est un roman», remarquable ouvrage écrit par Zsolt Harsanyi. Pour ceux qui apprécient la littérature et la musique classique. Un de mes coups de cœur.

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