Saveurs

Je vais y aller franco. Comme d’habitude. De toute façon, une chronique n’est pas obligatoirement prévue pour se faire de nouveaux amis. Mais ça va au moins nous donner matière à discuter. Voilà les choses telles que je les ressens : cette finale de Coupe d’Europe entre Clermont et Toulon, franchement, elle ne déclenche pas chez moi l’excitation des grands événements. Autant pour Clermont-Munster et Saracens-Toulon, j’avais apprécié le parfum de la phase finale, l’attrait du choc majuscule, l’opposition franco-irlando-anglaise, matinée d’une touche sud-africaine, autant une finale française de H Cup ne me fait pas vibrer.
Je peux comprendre que des supporteurs auvergnats et varois soient aux anges, bouleversés, impatients et chauds bouillants, mais pour l’observateur neutre que je suis, ce duel franco-français à Dublin manque de saveur. En tout cas, ce n’est pas l’idée que je me fais d’une finale européenne. D’une finale de Top 14, sans aucun doute – et d’ailleurs il y a de grandes chances que ce soit celle-là – mais pas du sommet de la H Cup.
C’est un peu comme, de mémoire, Manchester United-Chelsea (2008), Juventus-Inter (2003) et Madrid-Valence (2000) en Champion’s League, voire un improbable (mais sait-on jamais) Real-Barca ; plus sûrement le Dortmund-Munich à venir. Ça n’a pas le sel attendu. C’est techniquement intéressant pour les spécialistes mais ça s’arrête là. C’est d’ailleurs étonnant que le football, avec sa surface géographique, accouche de tels monstres. Ça l’est moins en rugby, qui ne couvre, version H Cup, que six pays.
J’étais à Dublin, dans le Lansdowne Road aujourd’hui démoli et remplacé par l’Aviva, pour une certain Toulouse-Perpignan. En 2003. 29 000 spectateurs. Dans un stade du Tournoi qui pouvaient en contenir presque le double. On avait bien déjeuné, il faisait soleil. Pour les besoins de la télévision, les organisateurs avaient massé les spectateurs, principalement toulousains et catalans, dans une tribune, face caméras, pour assurer la claque. Face à nous, une tribune vide. Elle résonnait du babil des commentateurs. Bonjour l’ambiance…
Les seules réussites, dans ce genre de choc entre clubs ou provinces d’un même pays, ce fut lorsque les Anglais (Leicester-Wasps, 2007, dans un Twickenham plein comme un œuf) et les Irlandais (Leinster-Ulster, 2012, là aussi à Twickenham et  guichets fermés) se sont retrouvés. Mais il faut dire que ça ne leur fait pas vraiment beaucoup de chemin à couvrir. Nous, Français, nos finales, on les préfère en Top 14. Et le bide de Toulouse-Perpignan (2003), suivi d’un terne Toulouse-Stade Français (2005) à Edimbourg et d’un Toulouse-Biarritz (2010) qui sentait vraiment trop le Championnat, n’évoquent pas le début d’un frisson.
En revanche, je suis certain que la même affiche, le 1er juin, au Stade de France, aura ce fumet qui me fait tant saliver, ce parfum de finale, ce goût relevé qu’a l’affrontement entre deux géants du Top 14. Entre deux peuples, aussi, qui monteront à Paris si tel est le cas, mais qui ne seront sans doute pas à Dublin. Trop loin. Trop cher. Ou alors en petit comité. Et c’est aussi cela qui fait tort à cette finale de H Cup. Rien n’est fait pour les supporteurs des deux équipes car tout est prévu de longue date, sans aucune souplesse.
Clermont-Toulon à Dublin, non, décidemment, je n’arrive pas à m’y adonner.

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Absence

Comme vous, j’ai remarqué l’absence des titulaires toulonnais au stade des Alpes. Enfin, pas au début du match. Parce qu’à ce moment-là, j’ai apprécié un RCT lumineux, emmené par un magnifique Matt Giteau, pour une demi-heure de pure magie créée par les remplaçants et les doublures, au diapason. Et puis ce fut l’absence. Au sens du trou. Comment peut-on perdre une rencontre quand on mène 24-9 à la 50ème minute ? Ca restera un mystère. Sauf à concevoir que les deuxièmes et troisièmes choix varois, qui n’ont disputé que quatre-cinq matches dans la saison, avaient les jambes un peu gourdes sur la fin, les muscles tétanisés et le souffle court.
Une autre absence d’importance, lors de la 25ème journée de Top 14, et elle est double. Quand on perd quasiment dans le même laps de temps un demi de mêlée (Benoit Paillaugue, 38e) et un troisième ligne centre (Johnny Beattie, 40e), difficile de garder un cap. Ces deux-là sont, avec l’ouvreur, à la barre d’une équipe. Dans la vague bayonnaise, Montpellier, réduit à treize, a payé cher (treize points) l’indiscipline et les fautes de ses skippers. Dans le rugby contemporain, l’absence pour cause de carton jaune pèse lourd au tableau d’affiche. Les Héraultais en ont fait l’amère expérience sur les berges de l’Adour.
Absence remarquée, enfin, celle de jeu. Chez les Toulousains. Pendant quarante minutes. Celles de la première période. Et pendant vingt-cinq minutes, plus diffuses celles-là, en seconde. Je m’explique. Première attaque. Elle est toulousaine. Mais elle se conclut par une chandelle au milieu du terrain. Récupération clermontoise, contre-attaque immédiate, essai de Fofana. On joue depuis quarante secondes. Depuis le temps – deux saisons au moins – que je répète dans ce blog et sur l’antenne de L’Equipe 21 que le Stade Toulousain a perdu le rugby qui a fait sa force et sa gloire, moi qui suis fan du jeu à la main, le choc au sommet entre Clermont et Toulouse, samedi dernier, ne fait que confirmer ce constat.
Les absences ne sont pas toutes nocives ni négatives, il y en a de belles, d’élégantes, de subtiles, qui nous rappellent que les époques révolues peuvent surgir à tout moment pour notre plus grand bonheur et faire mouche, toucher là où ça fait du bien et s’avérer bénéfiques pour tout le monde. Je veux parler de l’absence de sponsors sur un maillot. C’est ce qu’a choisi de nous offrir l’Aviron Bayonnais, samedi dernier. Putaing que c’était beau ! Un maillot vierge de toute marque, si ce n’est l’emblème du club… Une riche idée, M. Afflelou. Pour ça, merci. Je suis revenu quinze ans en arrière. C’est sympa de rajeunir.
No logo. A l’heure de la pub partout, du payant institué, du consumérisme érigé en philosophie de vie, à l’heure des partenaires qu’il faut remercier, des sponsors sans lesquels on ne peut, soi-disant, pas exister au plus haut niveau, l’Aviron Bayonnais a marqué les imaginations avec son maillot vintage d’un pur Ciel et Blanc. Et au bout la victoire. Il y a des jours, comme ça, le succès sourit à ceux qui se dépouillent.
Pour finir, il n’y avait pas que des absents, le week-end dernier : 41 000 spectateurs au Stade de France pour Stade Français – Racing-Métro ; 33 000 à Chaban-Delmas pour Bordeaux-Bègles – Biarritz ; 20 000 au stade des Alpes pour Grenoble – Toulon et, selon une bonne habitude, 18 000 à Marcel-Michelin pour Clermont-Toulouse et 15 000 à Jean-Dauger pour Bayonne-Montpellier. Le rugby cartonne. Il y aura toujours des pisse-vinaigre pour railler ses «valeurs» mais à la bourse des sports, l’ovale remplit indiscutablement les corbeilles.

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Clairement

Au stade Vélodrome de Marseille, l’ailier international de l’ASM, Julien Malzieu, perce entre Mathieu Bastareaud et Chris Masoe, deux des étoiles du RCT.

On parle toujours de l’effectif pléthorique du Stade Toulousain, où seuls le pilier Yohan Montes, le flanker Sylvain Nicolas et l’ailier Yves Donguy ne sont pas internationaux ; d’un groupe qui comprend huit Bleus en activité, à savoir Yoann Maestri, Thierry Dusautoir, Yannick Nyanga, Louis Picamoles, Florian Fritz, Vincent Clerc, Yoann Huget et Maxime Médard, soit un peu plus de la moitié du XV de France.
On évoque régulièrement les Galactiques du Rugby Club Toulonnais que sont les All Black Carl Hayman et Chris Masoe, le Gallois Gethin Jenkins, les Anglais Andrew Sheridan, Simon Shaw et Jonnie Wilkinson, les Springboks Bakkies Botha, Joe Van Niekerk et Danie Rossouw, le Puma Juan Martin Fernandez Lobbe, les Bleus Frédéric Michalak, Mathieu Bastareaud, Alexis Palisson, Sébastien Tillous-Borde, Jocelino Suta et Maxime Mermoz, le Wallaby Matt Giteau…
On souligne plus rarement le fait que l’ASM Clermont Auvergne, 1ère attaque et 1ère défense du Top 14, la saison passée, dispose de deux équipes également remarquables, capables de produire le meilleur jeu du Championnat, cette année, comme en témoigne le match nul accroché à Marseille, dimanche dernier, face au RCT, 26-26, par la «réserve» auvergnate, prolongement d’un groupe qui ne compte que cinq titulaires en bleu lors du dernier Tournoi – Debaty, Kayser, Domingo, Parra et Fofana.
Il faut se rendre à l’évidence : là où deux des trois très grosses écuries du Top 14 (Toulon, Toulouse) peinent à aligner deux équipes de même valeur et s’en remettent toujours à leurs leaders pour assurer l’essentiel, Clermont a prouvé que son effectif lui permettait de jouer sans souci sur deux tableaux. Et surtout que son jeu, spectaculaire, était clairement le plus frais, le plus innovant, le plus créatif, du Championnat.
Dimanche, j’ai vu, et je ne suis pas le seul, des combinaisons d’attaques, des relances, des angles de courses, des envies de jeu, d’une limpidité enthousiasmante comme rarement à ce niveau de la compétition entre deux équipes au sommet du classement. A la passe Nakaitaci, Stanley, King, Malzieu, Delany, Floch, Senio, Kolelichvili, Hezard, Jacquet, Pierre, Ric, Cabello, Chaume, autant de Clermontois qui s’entraînent et vivent depuis le début de saison dans l’ombre de l’équipe-type.
Clairement, Clermont se présente en cette fin de Championnat comme l’équipe à suivre. Sur tous les tableaux, H Cup et Top 14… Ce n’est pas l’équipe en forme à l’image du Racing-Métro, ce n’est pas l’habituel épouvantail toulousain et son palmarès en béton armé, le club des stars – le président Boudjellal évoque lui-même les Rolling Stones en tournée quand on lui parle de son équipe – comme l’est Toulon ; non, c’est seulement le club qui pratique le meilleur rugby…
L’ASM peut viser le doublé. Comme Toulouse l’avait réalisé en 1996 et envisagé en 2008. Doublé H Cup – Top 14, l’exploit ultime, le Graal jamais touché par un club français depuis que le rugby français est passé professionnel en 1998. Clermont a montré face à Toulon, dimanche dernier, que cette double ascension était envisageable. En tout cas, elle est méticuleusement préparée, c’est certain. Et à voir le plaisir, le bonheur même, avec lequel les «réservistes» auvergnats se sont livrés, se sont lâchés, se sont envoyés, au stade Vélodrome, il est évident que cet objectif est partagé.

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WilKing


Bien sûr, à l’heure des cloches de Pâques et des œufs chocolatés, il y a Guillaume Boussès, qui s’applique en cuisine. Mais le vrai Masterchef du Top 14 n’est pas Francilien. Il est Varois. D’adoption. En fait, plus précisément Anglais, champion du monde en 2003 et accessoirement meilleur buteur en activité du Championnat de France. Comme la saison dernière, d’ailleurs.
Aujourd’hui, écoutez bien autour de vous, tout le monde parle vert. Le discours est devenu obligatoirement écologique. On ne dit pas déchetterie, on dit zone d’écosystème énergétique activé. Effectivement, c’est beaucoup plus propre…. On ne dit pas non plus dopage, en rugby, on dit, comme l’a précisé Jean-Pierre Elissalde, dimanche : «J’ai pris deux fois du Captagon». Vu comme ça, nous voilà rassurés.
A Mont-de-Marsan, trente points dans la musette à domicile face à Montpellier qui déroule sans forcer, on ne dit pas «Merdre, on a encore perdu chez nous et ça fait six fois, cette saison», on glisse : «Je suis content du comportement de l’équipe», si l’on en croit Wame Lewaravu, deuxième-ligne montois. Et là, bien entendu, ça change tout. Surtout quand on marque dix points en première période et juste sept en seconde.
Mais le meilleur parlé écologique, c’est celui de Mourad Boudjellal. Il a prévu d’annoncer à Toulon la prolongation du contrat de Wilkinson. C’est calé. Mais son ouvreur fétiche se lâche un peu trop tôt dans The Times. Normal, il y chronique. Commentaire de son président : «Jonny, c’est le patron». Ca, c’est écologique. Pas de déchet, pas de pollution médiatique. Et en plus, l’occasion d’ajouter que la star « a revu son salaire à la baisse » avant de conclure par un « je veux l’en remercier » qui sonne le glas des augmentations au cas où le reste de l’effectif du RCT aurait eu des ambitions financières. Bien joué, président !
Jonny Wilko, dit The King, soit la moitié des points du RCT depuis quatre saisons. Un véritable étalon au poste d’ouvreur, au point de remiser Frédéric Michalak, le dix des Bleus, au rang de doublure à la mêlée, de décaler le génial wallaby Matt Giteau au centre et de renvoyer son adversaire de samedi dernier à Lille, l’espoir parisien Jules Plisson, à la crèche de la porte de Gentilly.
« C’est très important pour nous de savoir que les médias l’aiment parce que nous l’aimons beaucoup. Il est fantastique, sur le terrain comme en dehors (…) En tant qu’homme, joueur, ambassadeur, il est exceptionnel. Il crée quelque chose dans ce groupe. Tout le monde l’adore (…) Il ne mérite que des bonnes choses. (…) Franchement, nous voulons le garder avec nous la saison prochaine. »
Qui a dit ça ? Mourad, encore ? Non. Nasser Al-Khelaïfi, le président du PSG, leader de la L1, 300 millions d’euros de budget. Dans L’Equipe de lundi. Concernant un autre sujet de sa Gracieuse Majesté. David Beckham. Mais ça aurait pu être le président du RCT, leader du Top 14, avec un budget dix fois moindre, évoquant l’autre wonderboy rosbif.
Disposer du deuxième meilleur réalisateur de tous les temps à un coût maitrisé, voilà bien l’écologie du rugby. Tout comme imaginer que Bayonne et Biarritz pourraient partager un stade à Anglet, ou que le Stade Français louera au Racing-Métro et à un prix d’ami le prochain Jean-Bouin en attendant que l’Arena voit le jour. Le poison d’avril se distille quand même dans les esprits chagrins.
Epilogue : M. Al-Khelaïfi a dit aussi : «Les médias sont le miroir de ce que l’on reflète.» Je ne sais pas s’il faut prendre cet aphorisme au premier, deuxième ou troisième degré. Vous en pensez quoi ?

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En zinc

Il y a, bien sûr, tout l’attirail moderne. A commencer par des GPS placés dans le dos qui enregistrent les déplacements des joueurs sur le terrain à l’usage des coaches et des préparateurs physiques, Plus question de s’arrêter en match pour souffler un bon coup. A tel point que les joueurs se sentent obligés de passer leur temps de repos entre deux longues séquences à trottiner pour maintenir leur moyenne générale au-dessus des minimas olympiques.
On peut de plus compter sur la pince à gras. Piliers, talonneurs et deuxième-lignes se font tirer la couenne comme des Chippendales. C’est bien pour le calendrier. La mode, aussi, est aux gourous. A commencer par celui de Toulon. Un fameux loup, Darou ! Capable d’expliquer à Wilkinson qu’il faut partir un peu en vacances plutôt que de passer son temps à buter à l’entraînement. Résultat, il aurait mieux fait, le nouveau penseur de la Rade, de discuter un peu avec Delon Armitage et Lapeyre en prévision de ce qui fut, samedi, le fiasco d’Anoeta – une victoire du RCT à portée de pieds et de bras – et de filer aux canonniers de substitution la recette du bon but au piment d’Espelette.
On découvre chaque jour, depuis le 25 aout 1995 et la fin du rugby amateur, les inventions du sport professionnel au service du rugby. Vidéo, techno, psycho… Tenez, les Néo-Zélandais allèrent même jusqu’à préparer leur mêlée avec un spécialiste du ballet et la France associa les danseurs de l’Opéra Garnier aux sauteurs de Marcoussis pour élever la touche bleue vers des sommets. L’ironie, avec le recul, c’est de constater qu’en finale du Mondial 2011, la mêlée bleue enfonça celle des All Blacks mais que son alignement se fit transpercer par le milieu…
Heureusement, il reste la fameuse pression. Celle qui se calcule au bar. A un ami qui me demandait quelle était la formule du Racing-Métro pour monter de la onzième à la cinquième place du classement en huit matches (entre la 14e et la 21e journée du Top 14), je lui ai répondu de lire L’Equipe. L’édition du samedi 23 mars. Page 10. Tout en bas. Un verbatim du centre international Fabrice Estebanez, signé de mon confrère Frédéric Bernès. Tout y est dit. Des idées fortes exprimées avec des mots simples.
Où il est question de s’installer au bar pour y boire quelques coups entre partenaires plutôt que de cliquer sur l’azerty dans le hall de l’hôtel un soir de victoire sous peine de se retrouver remplaçant le match suivant.  De valoriser ses coéquipiers au lieu de s’émerveiller de la composition, étoilée de stars, de l’équipe adverse. D’organiser régulièrement des déjeuners par ligne, les trois-quarts montrant l’exemple dans la grande tradition du Racing-Showbiz. Au final, l’impression que le rugby pro retrouve dans les «valeurs» du monde amateur qu’il a quitté matière à se ressourcer.
Franchement, j’aime assez l’idée qu’il faille se marrer un peu pour avancer ensemble. Aussi qu’il faille picoler en troisième mi-temps pour lâcher ce qui doit être dit et passer à autre chose sans malentendus. Des pratiques qui nous renvoient à l’essence de ce sport, grégaire, un sport où il faut rester au contact et se lier. Les packs d’airain et les attaques de génie se construisent souvent les coudes sur le zinc.
Tenez, voilà qui fait écho aux mauvais résultats du récent XV de France : Philippe Saint-André, quand il était capitaine des Tricolores, avait invité ses coéquipiers à vider une demi-pinte de bière dans un pub d’Edimbourg – c’était en 1994 – avant Ecosse-France. «La pression, il vaut mieux l’avoir dans l’estomac que sur les épaules», avait-il dit à ses partenaires, certains gênés de se retrouver à boire un coup la veille d’un match international. Le lendemain, la France l’emportait à Murrayfield après deux défaites dans le Tournoi.  Allez, à la vôtre !

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Sir John

Certains font taire Twickenham, d’autres le font chanter. C’était le cas de Jean Prat, qui savait prendre le meilleur des Anglais.

Ce qu’il y a de bien avec les Anglais, c’est qu’ils ne considèrent pas la défaite comme une option. Jusqu’à ce qu’ils perdent. Et quand ils s’inclinent, c’est lourdement. Samedi dernier à Cardiff, avant le coup d’envoi, pas grand chose ne pouvait les priver d’un Grand Chelem. Il leur tendait les bras. J’étais même de ceux qui n’imaginaient pas comment des Gallois, insignifiants sept jours plus tôt, à Murrayfield, allaient s’y prendre pour ne pas prendre une rouste.
Mea culpa. J’avais juste oublié un truc : le rugby est d’abord un sport de combat collectif. Dans combat, il y a hargne, rage, intensité, violence. Dans collectif, il y a âme, lien, soudure, identification. J’ai occulté ce que ce sport peut avoir d’éruptif. A quel point le Millennium stadium, le pays de Galles et quinze mecs en rouge peuvent se fondre en une seule entité. C’est pour cela que le rugby est grand, et qu’il draine tellement de passionnés.
Battus par tout un pays et pas seulement par une équipe, les Anglais ont pris une claque, samedi, en s’inclinant, dernière levée en forme de retour à l’envoyeur, comme l’équipe de France avant eux à Rome, il y a deux mois, au début de l’édition 2013. Comme quoi rien n’est jamais acquis, à Marcoussis comme à Twickenham, pour les vainqueurs en novembre dernier de l’Australie comme pour, de ce Tournoi, les grands favoris.
Cette défaite anglaise, franchement, elle tombait vraiment mal, parce que Sir Clive Woodward avait décidé de donner des conseils à Philippe Saint-André. Et quand l’Anglais prend de la hauteur pour expliquer à un pauvre petit latin ce qu’il faut faire pour devenir champion du monde, le monde doit s’arrêter de rebondir pour l’écouter. Of course. Voire même s’incliner. Comment peut-on sélectionner Frédéric Michalak ? Enfin quoi, my dear Philip, vous n’y pensez-pas…
Je me suis interessé aux statistiques. Ce n’est pas mon truc, mais bon, pour une fois. Surprise. Après Titou Lamaison, parangon de l’ouvreur français (ils ne sont pas nombreux) qui aligne 83% de succès dans le Tournoi, qui trouve-t-on ? Michalak, avec 78%. Derrière lui ? Albaladejo et Mesnel (70%), Gachassin et Trinh-Duc (60%), Deylaud (33%) pour fermer la marche. Que disent-ils, ces chiffres ? Qu’avec Michalak, l’équipe de France a huit chances du dix de remporter un match du Tournoi… C’est sans doute pour cela que PSA a tellement insisté pour le garder, Fred, et ça lui a réussi sur la fin. Au moment où ça ne voulait plus rire pour l’Angleterre. Appréciez l’ironie.
Vous l’avez compris, j’apprécie Michalak. Comme d’autres avant moi défendaient Maso, Gachassin, Dédé Boni, pestiférés, joueurs de génie. A cette époque-là, c’étaient les sélectionneurs, les gros pardessus tels que tancés par Jean Dauger quand il chroniquait, qui dégageaient les purs talents sur la touche. Aujourd’hui, autres temps, autres moeurs, ce sont les internautes qui veulent la peau d’un joueur hors-normes. Je ne sais pas s’il faut en rire ou en pleurer.
En tout cas, Fred, il a fermé son compte Twitter. Cela dit, je le comprends. Moi, ici même, j’ai été obligé rapidement de faire le tri entre les gens bien élevés et les violents du verbe qui pensent que l’insulte est un argument. Quant à Sir Clive, c’est PSA lui-même qui nous a avoué que l’agent du donneur de leçons l’avait contacté pour le cas où la FFR chercherait un directeur de rugby pour guider les petits Français vers le titre mondial en 2015. Mouché, Sir Clive n’a pas du apprécier le camouflet. D’où son ire par média interposé. Là, il faut en rire.
Il n’y a qu’une fois où les Anglais se sont inclinés. Vraiment. C’était en 2002. J’avais la chance d’être présent dans le Temple, à ses côtés. Jean Prat, que les Anglais surnomment Sir John depuis qu’il leur a botté le cul en 1951, avait reçu cette année-là, les clefs de Twickenham. « Vous êtes ici chez vous, Mister Prat« , lui avait glissé, ému, le conservateur du Musée de Twickenham en lui offrant de visiter le stade à sa guise, quelques jours avant un France-Angleterre.
Dans les heures troublées que nous traversons, où tout et son contraire se rejoignent, les pro et les anti, la défaite utile et le succès insignifiant, une dernière place du Tournoi et la première victoire bleue de l’année, la sortie de Michalak soutenu par une standing ovation et les flots d’injures sur la toile, le futur encore trop loin et le présent qui n’est pas un cadeau, j’avais juste envie de revenir à l’essentiel. Quoi de neuf ? Jean Prat. En paraphrasant Guitry.

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Aviva shake

Louis Picamoles a lancé le Harlem Shake à l’Aviva stadium de Dublin, on attend maintenant la version Marcoussis, histoire de dérider l’ambiance…

Et il a fallu que Louis Picamoles secoue la défense irlandaise à dix mètres de l’en-but, en toute fin de partie, pour que la France s’économise l’humiliation de revenir à Saint-Denis affronter l’Ecosse, samedi, et s’évite par là-même de remuer sa mauvaise tambouille avec une cuillère de bois. Et là, franchement, ça aurait secoué dans les chaumières…
Cela dit, ce match vraiment nul, 13-13 – ce score n‘est pas porte-bonheur – ne change pas grand-chose au problème de ce quinze de France sans ligne directrice. «Cap au pire», ai-je titré ? Ce fut le cas. Soixante-dix minutes d’indigence absolue. Je me suis posé la question : depuis quand ai-je suivi pareille bouillie ?… C’est tellement loin que je ne m’en souviens pas.
Ce Dublin shake – c’est la mode – réduit la rencontre à une action à zéro passe devant la ligne, une initiative individuelle bienvenue pour contrebalancer un jeu désespérant, un coup de bélier dans le lard irlandais qui n’apporte, au final, qu’une maigre, très maigre consolation, et nous permet de sourire de ce résultat, nul, parce que ça vaut mieux que d’en pleurer.
Si elle a vraiment de la moelle, cette équipe de France, et bien elle se lancerait dans le Harlem Shake. A Marcoussis. Au moins là, elle se dériderait. «Nous vivons bien ensemble…» assènent les Bleus à chaque conférence de presse. Alors, allez, prouvez-le… Chiche ? A l’Equipe Du Soir, vendredi dernier, nous l’avons fait. Mal, certes, mais sans nous dégonfler. Que les Bleus cassent le carcan dans lequel ils sont engoncés. On peut rêver.
Parce que même quand il a joué le ballon, tout seul, pour lui-même, un peu à la façon de William Webb Ellis défiant les conventions, Louis Picamoles n’a pas pour autant faire sourire ses partenaires. Elle ne transpire pas la joie de jouer, cette équipe de France, pas d’allant, pas d’élan. Juste une énorme crispation. Le rugby est un jeu avant d’être un sport. Rien de ludique ne transpire chez ces Bleus. Un bon petit Marcoussis Shake ne peut pas leur faire de mal. En tout cas pas plus qu’un match nul. Au point où ils en sont…

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Cap au pire

Le capitaine irlandais Jamie Heaslip fera tout pour renverser les Bleus, samedi.

On voit bien que ce match contre l’Irlande, samedi, déborde du cadre classique d’une rencontre du Tournoi : il n’est plus question d’écluser seulement des pintes de Guinness le nez au vent avant d’aller visiter la tour de James Joyce en imaginant Napoléon débarquer dans la baie de Dublin, puis descendre à la gare de Foxrock et se dire qu’on a bien de la chance de visiter les îles en suivant les rebonds d’un drôle de ballon. Non, là, un profond pessimisme enveloppe nos journées avant le coup d’envoi. Et j’ai du mal à m’imaginer sans un peu de crainte la fin de partie.
Depuis juin dernier et la tournée en Argentine, cette équipe de France de tous les espoirs s’en va de succès en désillusions. Oh, les beaux jours ! Envolés… Et avec eux gommée l’embellie du trio des 3 M,  Machenaud – Michalak – Mermoz, dont on se disait qu’il portait beau, ballon en mains comme on conduit un camion bleu, le trait d’union des générations.
Regardez tous ceux qui tombent ! Pascal Papé, Dimitri Szarzewski, Fulgence Ouedraogo, Benjamin Fall, Maxime Mermoz, Jocelino Suta, Damien Chouly et Romain Taofifenua sortis du groupe France sur blessure ou par défaut de performance… Ecoutez les sifflets tombés sur Frédéric Michalak après trois passes manquées face aux Anglais. Petit à petit, l’ouvrage se délite, le fil de cette équipe se découd.
En attendant, nous en sommes à nous demander d’où arrivera le grand secours meurtrier, par où Philippe Saint-André et ses adjoints feront exploser ce qu’ils ont construit en neuf mois ? Qui portera, en cas de nouvelle foirade, samedi soir, le poids de l’échec à répétition ? Le staff ? Le capitaine ? Les cadres ? Les meneurs de jeu ? Les leaders de vie ?  Ce tout qui manque, en somme…
Rome, Saint-Denis, Twickenham… A chaque fois s’additionne dans ce Tournoi un acte sans parole ; ce ne sont pas les conférences de stress d’avant et d’après match qui éclairent nos lanternes. Avant Saint-André, il me fallait lire dans le Marc parfois un peu fort de café. Là, peste soit de l’horoscope qui annonce pour ce week-end, je cite, «que trop d’attention portée aux détails peut nuire à l’équilibre», et aussi «qu’aux voyages il faudra préférer cocooner».
Partir pour Dublin, en ce moment, c’est mettre cap au pire. Défaits à Murrayfield après avoir assumé l’essentiel du jeu, les Irlandais d’Heaslip, trop tendus, reviennent cette semaine au port les voiles gonflées de frustration. Battus par l’Angleterre devant leur public après l’avoir fait rêver à distance forts d’un succès à Cardiff, ils veulent maintenant sauver leur Tournoi – eux aussi – ce samedi. Et ce sera face à la France, qui est dans le même cas.
Et pourtant, il faut continuer… Parfois, l’équipe de France, quand elle est bien humiliée, sort un de ces matches grandioses qui contribuent à alimenter sa légende comme on alimente un feu en bûches. Avec toute sa flamme. Souvenez-vous, Venditti, Baby… Là, j’ai plutôt l’impression que ce sera sans. J’ai peut-être mal vu, ça a sans doute été mal dit, mais mis à part cinquante minutes face aux Anglais – mais un match en compte malheureusement quatre-vingt – et une fulgurance signée Fofana, l’austérité le dispute au minimalisme.
Epilogue. Au moment où les Bleus se cherchent toujours un ouvreur, l’entraîneur des Verts vient de se priver de Ronan O’Gara, le meilleur réalisateur irlandais de l’histoire. Il lui préfère Jonathan Sexton, qui tient sur un genou, et Paddy Jackson, qui tourne à 25 % de réussite dans les tirs au but. La chance vient-elle enfin de nous sourire ?

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Bal au centre

Quand le ballon passe par les centres, ici Yannick Jauzion, la vie devient souvent plus belle… (photo Gérard Rancinan)

Le week-end dernier, troisième journée du Tournoi des Six Nations édition 2013, la modernité du jeu m’a permis de revenir avec délice à la racine de ma passion. Dans ce qu’il y a de moderne, et il ne s’agit pas de souligner ici la professionalisation d’une discipline sportive, j’ai retrouvé une essence. Un parfum du rugby de toujours, qui relie toutes les générations d’un trait. D’un trait de génie.
Moderne, professionnel… Parlons plutôt de la dimension contemporaine du rugby. Il est aujourd’hui comme il était hier, ce sport. Et certainement comme il sera demain. Il suffit d’un joueur calculant sa course sans ballon pour cerner un, voire plusieurs défenseurs, d’une prise d’intervalle et d’une prise d’informations à l’instant de l’accélération, d’un regard panoramique et d’une belle paire de cannes pour traverser une vie.
Je veux parler ici des percées de Luke Marshall, l’Irlandais. De l’intervention de l’ailier Alex Cuthbert au coeur de la ligne d’attaque galloise. Je veux parler, bien sûr, de l’échappée belle de Wesley Fofana à Twickenham. Des fulgurances qui passent toujours par le même endroit pour s’imprimer dans nos rétines aux côtés des fresques signées Cédric Heymans (2009), Jean-Pierre Lux (1970), Serge Blanco (1987, 1990), Jérôme Gallion (1978), Patrice Lagisquet (1990)…
Balle au centre, la vie est belle ! C’est au milieu, au centre, dans la focale de l’attaque, là où les passes sont les plus subtiles, les courses millimétrées, le rythme accéléré, que ce jeu de rugby trouve ses plus beaux accomplissements, ses plus belles réussites. Il faut que tout change pour que rien ne change, lit-on. Il faut que le rugby donne l’impression d’être devenu un autre sport pour que l’évidence nous revienne, claire, limpide, tranchante. Comme la percée d’un trois-quarts centre.
La veille d’Angleterre-France, vendredi soir, à Castres, c’est Romain Cabannes qui s’engageait, tête haute, dans la défense varoise pour servir son coéquipier Martial vers l’essai. Puis c’est le Toulonnais Maxime Mermoz qui s’engouffrait entre les Castrais pour délivrer ensuite une magnifique passe intérieure en direction de Giteau. Là aussi pour l’essai. Deux actions qui se conservent bien depuis deux siècles, prêtes à être servies dans les grandes occasions.
Alors que je n’étais pas encore journaliste, j’ai rencontré Jean Dauger. C’était en 1983. Au gymnase Lauga, en contrebas du stade de Bayonne qui porte désormais son nom. J’écrivais alors, associé à mon ami Jacques Rivière, un ouvrage sur l’essence esthétique du rugby français. Sur le jeu au centre. Et Jean Dauger, le père spirituel de l’attaque à la française, nous avoua : « Pour qu’une attaque soit réussie, de tout temps, il faut que les avants jouent comme des trois-quarts centres. Et pas seulement les avants, tous les joueurs de l’équipe. Qu’ils se passent la balle avant d’être plaqués. »
Quand il nous a raccompagné jusqu’à notre véhicule, ouvrant son parapluie pour nous abriter d’une pluie battante, Jean Dauger nous a glissé : « Bonne quête… » Nous avons ensuite, effectivement, rencontré Patrick Nadal, André Boniface, Jo Maso, Didier Codorniou, entre autres, artistes du jeu français. Cette quête, Denis Charvet, Philippe Sella et Yannick Jauzion l’ont enrichi et j’ai l’impression de la poursuivre encore quand je repasse en boucle l’essai de Wesley Fofana.
Samedi, le XV de France a perdu à Twickenham. Mais le rugby français a gagné quelque chose. Quelque chose qui dépassera le score, le classement (qui risque de ne pas être brillant) et les déclarations des uns et des autres. Quelque chose dont on parlera encore dans dix, vingt, trente ans. Soixante-dix mètres d’évasion, de maîtrise technique, de rêve éveillé. Soixante-dix mètres pendant lesquels le stade de Twickenham a fait silence.
Epilogue. Thomas Castaignède m’avait dit, il y a de cela une dizaine d’années, avec un sens certain de la formule alors que je lui demandais ce que lui inspirait le Tournoi : « Le Tournoi, c’est quand le rugby met son smoking… ». Samedi, Wesley Fofana, lui, avait mis une tenue de balle.
P.S.: pour les nouveaux venus sur ce blog, prénom et nom souhaités

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Too loose

Le couloir du stade Ernest-Wallon, durant le making-of d’un reportage. (Photo R.E.)

Cela dit, le Stade Toulousain s’est doté de tous les outils de la réussite, stade, centre d’entraînement, indépendance financière, etc… Tout pour reprendre le chemin du succès. A condition d’évoluer. D’arrêter de recruter des joueurs coffre-forts, des gestionnaires du jeu, à condition de ne plus être conservateur dans ses choix tactiques. A condition, peut-être, de changer de chef d’orchestre. Mille matches pour un seul homme, c’est beaucoup, c’est formidable, c’est inouï, mais c’est peut-être le signal qu’il est temps de passer à autre chose et de laisser d’autres hommes, d’autres techniciens, d’autres managers, s’épanouir. Et si c’était ça, le message contenu dans la défaite, chargée de symboles, de vendredi dernier, face à Perpignan ?
J’ai eu la chance, en 1985 et 1986, de suivre de l’intérieur la montée en puissance de ce club. Il n’y avait pas de huis-clos. L’entrée du stade était toujours grande ouverte, celle du vestiaire aussi. Cotoyer au quotidien Pierre Villepreux et Jean-Claude Skrela, écouter la façon dont ils construisaient le jeu, animaient les entraînements, courir parfois – mais bien moins vite qu’eux – au milieu de Didier Codorniou, Denis Charvet, Eric Bonneval et Jean-Michel Rancoule et faire le surnuméraire lors des séances en opposition, m’ont permis de comprendre ce qui différenciait, à cette époque, le Stade Toulousain des autres clubs.
De quoi s’agissait-il, alors ? D’avoir toujours un ballon en main, de regarder en permanence autour de soi, d’analyser les déséquilibres, de ne plus considérer, après le premier temps de jeu, les avants et les trois-quarts comme des catégories séparées, de se souvenir que le ballon va toujours plus vite que le joueur, qu’il faut élargir quand les défenses sont resserrées et prendre très vite un intervalle pour obliger les défenseurs à se rapprocher, créant ainsi un effet permanent d’accordéon. Et ça, quand vous avez le privilège d’être au milieu du terrain, de voir cette respiration prendre forme d’un bord de touche à l’autre, ça vous fixe les idées à jamais.
En 1989, l’ancien ouvreur du XV d’Ecosse, John Rutherford, devenu entraîneur du club de Selkirk, m’avait demandé d’organiser une visite du Stade Toulousain. En 1991, l’ouvreur de la Rose, Rob Andrew, prennait sa licence à Toulouse. Rutherford est devenu par la suite coach des lignes arrière du Chardon et n’a pas oublié ce qu’il avait vu et entendu aux Sept-Deniers. Rob Andrew, qui a découvert au Stade Toulousain comment bâtir ce qu’il appelle, lui, le French Flair, a été par la suite nommé patron de la formation au sein de la fédé anglaise.
Aujourd’hui, l’équipe de France se déplacera à Twickenham en élève. Les Anglais ont lancé une énorme génération dans le bain du Tournoi, une ligne de trois-quarts doués, des avants dominateurs. L’Angleterre, qui organisera le Mondial 2015, est sûre de sa force après avoir connu, en 2011 et 2012, deux saisons difficiles. Elle a perdu des matches, comme la France en ce moment, mais n’a jamais douté. Elle remplit son stade et à chaque match, ce sont autant de livres sterling qui tombent directement dans les poches de la fédé.
L’Angleterre peut dédommager ses internationaux, trouver un accord satisfaisant avec les clubs pros : le rugby lui appartient. Non seulement elle l’a inventé mais depuis quelques temps, elle l’a bien amélioré, pour reprendre, en le détournant, l’aphorisme de Jean-Pierre Rives. C’est dans ce contexte, qui lui est peu favorable, que le XV de France va disputer sa troisième levée dans ce Tournoi 2013 mal barré. Je suis un indécrottable romantique : je crois encore aux miracles, aux bons sentiments, à la révolte des hommes, à la force des idéaux. Parce que le sport est la dernière chevalerie encore en activité. Et parce que le rugby, par les valeurs qu’il porte en lui, constitutives à la composition d’une équipe, permet d’élever un collectif.
Samedi, je vais savoir. Je vais savoir si le romantisme est définitivement mort et enterré, si notre rugby de France doit d’être repensé de fond en comble, si la ligne bleue qui va être alignée à Twickenham est une génération perdue, s’il faut faire le dos rond ou au contraire se réjouir. Se réjouir d’une défaite annoncée qui, au lieu de nous plonger dans la déprime, nous donnerait la force d’impulser des changements, se réjouir d’une victoire qui, pour n’être qu’éphémère, nous ferait croire en notre différence…
Alexis de Tocqueville écrivait en 1835 : « Les Français ne veulent reconnaître aucune supériorité. Les Anglais ne supportent que ceux qu’ils jugent inférieurs. Le Français lève les yeux avec anxiété, l’Anglais les baisse avec satisfaction. Des deux côtés, c’est de la fierté mais exprimée de manière différente. »
P.S.: il semblerait que l’idée d’échanger sans pseudo commence à devenir une (bonne) habitude. C’est aussi ça, l’esprit rugby…

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