Petit comité

Trois semaines avant l’annonce officielle, la tribu des sept boules de cristal avait en tête le prochain manager du XV de France. Pas tous mais quelques-uns, assez nombreux pour représenter une majorité élective. Reste que Fabrice Landreau, Fabien Galthié, Raphael Ibanez et Sir Clive Woodward ne vous diront pas qu’ils regrettent le voyage alors que la pièce était déjà jetée en tout petit comité.
La dictature de la transparence est aussi au pays basque. Fusion ? Non, création. L’Aviron et l’Olympique, en déficit et en ProD2, l’occasion est rêvée pour construire une entité «Force Basque». Dax serait maintenu, renforcé par les joueurs non inclus dans ce projet ABBO. Tout bonus pour le comité Côte Basque Landes. Investisseurs, politiciens et dirigeants des différents clubs de ce pays réunis secrêtement en conclave considèrent aujourd’hui que pour exister en Europe ils devront s’unir en province comme leurs cousins celtes.
Le rugby, conservateur, enveloppe ses secrets en petit comité, en chambre d’amour comme dans l’Essonne toujours deux fois. Rien n’est aussi limpide et consensuel qu’annoncé. Désespérant parfois. De quoi offrir à Bernard Laporte la pole position dans la course à la présidence, Laporte qui vient de publier un ouvrage, «Secrets de coachs», aux éditions du moment. Langage soutenu. Trop. A tel point que cela nuit à la petite musique du coach.
Il convoque quarante-cinq grands noms du sport, belle brochette, et commente le meilleur de leurs aphorismes, mais aucun qui permette de nous expliquer pourquoi il s’est planté sous la pluie à Sydney en 2003, et s’il regrette l’adieu de Guy Môquet en 2007. Il y a néanmoins quelques perles à extraire. Celle de Jonny Wilkinson : «Je fais ce que personne ne fait, donc je suis ce que personne n’est.» Ou d’Arrigo Sacchi : «Tout part de la personne, de sa recherche de l’excellence.»
Pour les prés socratiques, le terrain de Michel Crauste défriché au pas d’amble par Christophe Schaeffer, docteur en philosophie, est situé sur d’autres auteurs : Héraclite, Eric Champ, Molière, Bergson, Dolto, La Bruyère, Rives et Zweig, aréopage de solides penseurs. Dans cette maïeutique intitulée «Le testament du Mongol» (chez les 5 éditeurs), j’ai puisé de quoi considérer l’engagement autant que le temps qui passe en profondeur. Le Mongol livre ici un regard à la fois immanent et transcendant, vers l’autre sans battements de cils, mais les yeux au ciel.
En attendant de vous retrouver, ami(e)s de ce Côté Ouvert, regroupement choisi. Rendez-vous samedi 11 h à Bordeaux pour l’apéro, les pieds dans le plat et Bernard «Landais» en phare sur la Gironde.
Zone zéro pseudo désobligeant.

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Au plaisir

L’élite semble s’étendre. C’est du moins ce qu’on peut résumer à l’issue de ce week-end riche en résultats et en qualificatifs. Pour commencer sans doute fallait-il réduire cette saison le nombre de clubs relégués en ProD2. Soyons juste : ni Bayonne, ni Brive et ni Grenoble, élection triangulaire à distance, ne méritaient de descendre. Ne faudrait-il pas envisager une rencontre – une de plus, me direz-vous – entre le club classé deuxième de la ProD2 et celui classé treizième du Top 14 ?
Si cela avait été le cas, nous n’aurions pas vécu un week-end de folie sur tous les terrains. Nous n’aurions pas vu Agen se sortir les tripes et le ballon des regroupements. Nous n’aurions pas vu Brive atomiser le Stade Français et Lyon puiser au plus profond de ses réserves pour offrir une sortie digne de ce nom à son Nallet lyonnais.  Nous n’aurions pas vu Oyonnax jubiler à Mayol avec quarante points dans les valises en pensant à Wallon. Tournez ça comme vous voulez, la phase finale, c’est notre cerise sur le gâteau, la glace sur le cake, supplément de crème au milieu de stades délirants et colorés.
Et si nous n’attendions que cela, finalement ? Si depuis la mi-août de l’année dernière tout ce que nous avons enduré de vendredis soirs glacés, de samedis moroses et de calendriers saucissonnés n’était posé devant notre nez que pour accoucher de ces dernières semaines de matches couperets, à la vie à la mort, comme chantent les Maoris dans leur Ka Mate ?
Des émotions, nous allons en avoir d’autres aussi quand Pierre Camou, ci-devant président, nous annoncera le nom du prochain manager tricolore, l’homme de l’après-PSA, le nouveau providentiel. On parle de Guy Novès et l’affaire serait entendue. Mais les dossiers présentés par Fabrice Landreau, Fabien Galthié et Raphael Ibanez ont impressionné certains des sept sages. Assez pour que rien ne soit tout à fait écrit d’avance. Ensuite, il faudra lier politique et terrain, susceptibilités et affinités pour associer trois techniciens autour d’un projet de jeu qui reste encore à définir. Nous ne sommes pas au bout de nos plaisirs.
De l’émotion, il en était question à Beaumont-de-Lomagne, du 22 au 24 mai. Nous écrivons, nous commentons, nous débordons, mais il y en a qui continuent à jouer, à s’amuser, à donner. L’UFAR (union française des anciens du rugby) se regroupait pour la 39efois. J’accuse mon genou droit récalcitrant et cette sacrée dernière journée de Top 14 de ne pas m’avoir laissé libre de passer le ballon au milieu des ex de clubs valeureux et des abdos relâchés réunis, des vielles gloires et des mollets secs ; de ne pas avoir mouillé le maillot sur le pré d’herbe haute pour le tâcher ensuite à la buvette. Notre ami Tautor (aka Alain) y était. Il distribuait ses «pains ailés» (Pan Tintats) et a beaucoup reçu. M’a envoyé un sms en mêlée entouré de Jean-Louis Dupont, Max et Mathieu Barrau, Lionel Faure et Philippe Dintrans. Ça fait du bien. La réalité de ce sport comme de ce blog n’est pas le je en ligne mais bien le mot de passe.
Pensez à vous présenter sans pseudo. Nous sommes en territoire ovale connu. Merci.

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Une faim record

Il faudra un classement de l’envie, avec point de bonus offensif pour les troisièmes mi-temps et défensif pour les nuits blanches et petits déjeuners au lever du soleil, plutôt que de hiérarchiser les clubs en fonction de leur budget prévisionnel. On trouverait Oyonnax en tête, et sans doute La Rochelle juste derrière. Je miserai aussi sur le Stade Français quand on voit à quel point les anciens et les nouveaux parisiens ont apprécié se retrouver en amont et après de la der de Pierre Rabadan et de Jérôme Fillol.
On n’oubliera pas les Agenais sur ce coup : ils ne se sont pas couchés de bonne heure dimanche et ont fêté comme il se doit leur qualification en finale d’accession en Top 14. Tant pis pour la récupération. Pourquoi ceux-là ? Parce qu’ils ont faim de rugby, faim de victoire, faim de sensations. Parce que le week-end dernier, on a retrouvé l’esprit de la phase finale, mais surtout l’envie de s’envoyer, comme ils disent.
La Rochelle battu sur son terrain à quelques secondes de la fin retourne le Racing Métro comme une crêpe sur la dernière mêlée. Pénalité, match nul, qui est une sorte de victoire pour ce club désormais assuré de se maintenir dans l’élite. Quel bonheur à partager que ces 15 000 supporters en liesse, plantant leurs drapeaux jaunes comme des genets sur la falaise ; quel exploit que d’assurer un lien ovale dans ce secteur enclavé qu’est la Charente-Maritime, à l’écart des grandes routes de l’élite. Quelle force mentale dans l’épreuve de force collective qui scelle en milieu de tableau une saison difficile.
A l’autre extrémité Oyonnax bouleverse la hiérarchie. Oyonnax et ses sans-grades, ses oubliés, ses laissés-pour-compte et ses revanchards. Oyonnax dont le jeu faisait l’admiration du coach des avants tricolores, Yannick Bru, au point que l’ancien capitaine bleu fit un crochet par le Haut-Bugey pour demander à Christophe Urios comment il s’employait à faire si bien avancer son pack, comment il était parvenu à mettre en place cette dynamique de l’axe.
Le Stade Français avait perdu son bonus offensif et quand on sait à quel point les suppléments comptent dans ce Top 14 serré comme jamais, il était crucial pour envisager une qualification directe en demi-finale. Les Parisiens avaient match gagné mais ils sont allés chercher aux tripes un dernier essai. Pour que la fête offerte à leurs copains Rabadan et Fillol soit belle et complète. Têtes baissées, épaules serrées, machoires crispées, ils se sont rués vers l’en-but héraultais et quand Burban a marqué, délivrance, j’ai eu l’impression qu’ils étaient quinze, ensemble, à avoir plongé.
Dimanche, dernier un record a été battu. Celui de l’essai le plus long de l’histoire du rugby. 130 mètres en solitaire. Relance-débordement signée par l’ailier canadien Taylor Paris. Du milieu de son en-but côté gauche jusqu’aux pieds des poteaux catalans par le grand tour. Dans le plus pur style agenais fait d’inspiration, de liberté et de précision. Record battu parce qu’il me semble que le précédent était détenu par Serge Blanco, à Brisbane, en 1990, lors du deuxième test, cent mètres en solitaire, d’un en-but à l’autre, le long de la ligne de touche.
Pour finir, dimanche, l’équipe bis (ou ter) de Toulon alignée à Marcel-Michelin m’a emballé. Vraiment. Pas de restriction, des passes, des attaques incessantes. Cette équipe improvisée et composée de non-titulaires a prouvé que le jeu était le meilleur des ciments, que Toulon avait de la réserve, des jeunes prometteurs et des remplaçants des remplaçants qui méritaient amplement de disputer davantage qu’un match dans la saison. Ils avaient faim de reconnaissance et faim de jeu.
Seul bémol, apprendre ce midi que le président de Bayonne a été menacé de mort par des supporteurs (sic) bayonnais à cause de son projet de fusion. Pire, à l’école, son petit-fils  de sept ans menacé lui aussi. Manu Mérin démissionnera sans aucun doute à l’issue du dernier match de la saison. Je le comprends. Comme j’avais compris Frédéric Michalak fermant son compte Twitter après avoir reçu un flot d’insultes pour une raison oubliée. Les hystériques, les obtus, les fatigués qui pensent qu’aimer est un excès font davantage de mal au rugby que de bien.
Quant à la liste des 36, (quid des orfèvres ?), nous avons toute la semaine pour l’évoquer. Avec ou sans Paris.
Merci de laisser vos commentaires accompagnés de vos noms et prénoms. Nous ne sommes pas sur Twitter.

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Le oui mais

En passant de 22 à 13 régions, le nouveau championnat secoue le territoire. En rugby aussi, l’intérêt augmente à mesure que le nombre d’élus se réduit, passant de 14 à 6. La guerre des capitales est ouverte mais le Top 14 n’a jamais été aussi serré. Et pour une fois, cette saison, le calendrier cessera d’être saucissonné en tranches fines pour dérouler six journées, trois régulières – les dernières – et trois de phase finale d’ici à la mi-juin.
Le décor planté, restent les acteurs à caster. Oyonnax n’avait pas eu l’occasion d’en rêver mais s’y accroche ; Montpellier se crispe, s’égare et s’attend au pire ; Bordeaux-Bègles y croyait mais s’en éloigne…  Oui mais tout est encore possible. Trois journées égalent quinze points maximum. De quoi calculer. Et il faudra sûrement attendre la dernière minute de la dernière journée, l’ultime percée, essai, but de pénalité ou coup de sifflet avant d’arrêter les comptes.
Pendant ce temps, à Marcoussis, les sept rois sages se sont réunis pour décacheter le courrier du cœur. 66 missives ? Et combien de candidatures bidons, drôles, décalées ou simplement naïves ? Dans le registre humoristique, sans doute celle de Boucherie Ovalie, évidemment celle de Moscato. Oui mais pas si foutraque que ça, le projet du talon show puisqu’il se murmure que le jury pourrait bientôt recevoir l’amuseur public. Par calcul médiatique et donc politique ? Pour le contre-pied ? Simplement pour une tranche de rigolade entre poire et fromage, et deux projets roboratifs ?
Ces derniers mois, histoire de tenir des réseaux sociaux, se twittait la grille de départ des futurs managers tricolores. En pole position, s’il faut en croire une radiographie mieux informée que les autres, perçait Raphael Ibanez. Alors que de nous maintenions, personnellement, Laurent Travers en approche directe. Oui mais au final ce ne sera ni l’un ni l’autre. Travers a déclaré forfait pour cause de prolongation avantageuse de son contrat au Racing Métro tandis qu’évoquant le cas Ibanez, son président Marti annonce sur les ondes qu’il «pense plutôt que Raphael va rester» après avoir remué la terre entière pour lui trouver un successeur…
Le oui mais, parfois festif, est presque toujours salutaire. Juste avant de sortir du musée Magritte de Bruxelles se tient une toile en forme de méta-pensée : «Ceci n’est pas une pipe» indique le peintre en toutes lettres sous un profil découpé, forme noire qui rappelle quand même qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Ou comment continuer à se décaler après avoir allumée la première mèche. Je pense à ce tableau après avoir longuement bavardé, hier, avec Pierre Villepreux au sujet du jeu de Toulon…
Ainsi donc, si j’en crois les réactions outrées lues ici et là, considérer aujourd’hui que le RCT n’a pas percé les sommets où se situent dans l’histoire du rugby français Lourdes, Béziers et Toulouse tient du crime de lèse-majesté européenne. Comme si la H-Cup ou la Champion’s Cup, contrairement au cousin football, pouvait remplacer le bouclier de Brennus au pays des mille fromages. Comme si Bernard – «C’est pas compliqué le rugby ! Tu prends des mecs de 140 kilos et tu rentres dans la meule, t’as compris ?» – Laporte, depuis vingt ans qu’il entraîne à Bordeaux, à Paris, en équipe de France et à Toulon, avait mis au point un système de jeu sophistiqué susceptible de faire école…
Au moment où Castres tente à Mayol son plus gros défi de la saison, où les deux clubs de l’Ile-de-France disputent leur match capital ; au moment où Montpellier mise sur la gestion réduite d’un groupe pour sauver ce qui peut encore l’être (1 victoire, 2  nuls, 3 défaites depuis trois mois), où Bordeaux et Oyonnax sont déjà en mode phase finale ; où Brive risque de rejoindre la treizième place synonyme de relégation, la seule stratégie qui vaut semble être celle qui touche au management des hommes, la gestion des égo et des temps de repos.
Oui mais le jeu, quand même ? «Une équipe est une agrégation cohérente, où chacun fait sa part de boulot pour son coéquipier, pas pour lui-même,» perce Morné Steyn dans L’Equipe du 8 mai. L’ouvreur springbok, qui a si peu connu la victoire en fuchsia, parle aussi du vent et de la pluie, perturbants. Il ne manquent que l’arbitre et les médias pour faire le tour des inconvénients qu’il a trouvé, en provenance du Super Rugby, à disputer le Top 14.
«Un objet fait supposer qu’il y en a d’autres derrière lui», écrit l’artiste en dessinant un mur. Avant d’ajouter : «Je déteste l’héroïsme professionnel, la résignation et la voix des speakers.» Ce Top 14 n’est donc pas pour lui. Ce qui ne va pas nous empêcher, c’est le moment choisi, de fêter le «oui mais» comme il se doit. Refusons les lignes tracées, imposons le crochet intérieur face aux défenses glissées. Chaque percée est une victoire sur les figures imposées.
Merci de vous présenter avec vos vrais noms et prénoms sous peine de carton jaune. Nous ne sommes pas sur Twitter.

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Pour la route

Rien n’est plus important que de transmettre. Juste après avoir été nommé entraîneur adjoint du XV de France fin 1990, Jean Trillo, que je tiens pour l’un des rares et authentiques philosophes de ce jeu, a dit : «Je ne viens que pour passer». Faire le tour de cette formule lapidaire lâchée à dessein par un ancien trois-quarts centre demande réflexion tant elle distille l’essence de ce jeu.
Passer c’est aussi être de passage, se rendre compte du temps qui ne revient pas ; et de celui qu’il nous reste pour distribuer ce que l’on a reçu. Le ballon comme métaphore, le rugby passant de sport à viatique, supplément à la vie qui nous oblige à nous frotter aux autres, à les rencontrer, à les affronter pour finalement se découvrir soi même.
Ami(e)s de Côté Ouvert, nous sommes en confiance. Alors je vous transmets les clés du blog pendant quinze jours. Vous me croiserez peut-être sur la route qui relie La Rochelle, Limeuil, Reims et Bruxelles, périple de forme oblongue au terme duquel je vous retrouverai ici le 4 mai. Peut-être viendrai-je semer dans l’intervalle une graine de relance dans le terreau de vos échanges.
Cette photo m’accompagne depuis plus de trente ans. Elle est au cœur de mon premier ouvrage, «Le Rugby au Centre», co-écrit avec l’ami Jacques Rivière, augmenté en 2003 chez un éditeur montois,  Jean-Lacoste. Elle m’accompagne parce que j’y trouve presque tout ce que je suis venu chercher dans le rugby puis le journalisme, à savoir la transmission.
En posant la paume de sa main sur l’épaule de Jo Maso, alors tout jeune international  – nous sommes sur la pelouse du stade Béguère de Lourdes en 1966 -, l’immense Jean Dauger adoube l’icône de la nouvelle génération. Ce qu’il lui transmet à cet instant, c’est sa confiance plus que son savoir. Et devant eux, Maurice Prat mime la réception du ballon. Avant l’offrande. Un tableau de Véronèse.
Dans les écrins d’ordinaire dévolus au football, Clermont et Toulon nous ont transmis beaucoup, eux aussi, lors des demies. Le Chaudron des Verts vibrait de jaune et de bleu, le Vélodrome était mouillé de rouge et de noir, fresques de milliers de points. Le contenant l’a emporté sur le contenu. En ce sens, aussi, que le rugby est un supplément à la vie.
Ce jour de 1966, les anciens internationaux lourdais, Maurice Prat et Roger Martine (en retrait sur ce cliché), avaient invité les trois-quarts centres du XV de France à venir échanger sur la pelouse en présence de celui qu’ils considéraient, œcuméniques, comme le père du jeu d’attaque, le Bayonnais Jean Dauger, international à XIII et à XV. Echanger, c’est transmettre. Le ballon était imaginé, la passe tracée dans l’air, et parfaitement visible.
J’imagine ce qu’il y a d’Aristote chez Jean Dauger, d’Anaxagore en Jo Maso ; je vois Maurice Prat parfait Diogène, Platon en Roger Martine, tous les quatre marchant de concert en se passant l’ovale au fil de leur déambulation comme autant d’interrogations. Une maïeutique en mouvement. En rugby comme en philosophie, les réponses sont des vérités éphémères, vite remises en jeu.
De la même façon, on peut voir Jack Kerouac (avec des faux airs de Franck Azéma) harnaché en footballeur américain en couverture d’un essai de Fausto Batella (Desports – éditions du sous sol) intitulé «Half Back», que je vous recommande. Et d’apprendre que Mister Beat a choisi l’écriture par défaut : il se rêvait balle en main, courant vers l’en-but. Au lieu de quoi il prit la route. Tracer, c’est parfois vital. A chacun sa règle.
Merci de vous présenter avec au moins vos vrais prénoms et un mail identifiable.

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Affaire de cachet

Ils sont entrés en concile vendredi dernier pour dresser leur liste. Celle des entraîneurs susceptibles de succéder à Philippe Saint-André. Ils en sont sortis pour déjeuner un appel à candidature à la main. Ces deux heures passées dans la salle de réunion du première étage, à Marcoussis, les sept sages (Camou, Blanco, Dunyach, Retière, Maso, Skrela et Lux) l’ont mise à profit pour modifier un mode opératoire, pré carré du président de la FFR depuis 1963 et la nomination de Jean «Mr. Rugby» Prat comme homme de terrain du XV de France.
Lettre recommandée avec accusé de réception – le cachet de la poste faisant foi – projet de jeu, projet de staff, et tout ça adressé à Marcoussis avant le 25 avril. Hier demandeurs, les élus fédéraux et leurs affiliés sont désormais en position de force. Juste avant la 22e journée de Top 14, aucun coach – leurs noms étaient abondamment cités dans la presse, à savoir Laurent Travers et Laurent Labit (Racing-Métro), Guy Novès (Toulouse) Fabien Galthié, Fabrice Landreau (Grenoble), Fabien Pelous (FFR) et Raphael Ibanez (Bordeaux-Bègles) – n’a souhaité s’annoncer clairement candidat tricolore. 
Pourquoi soudainement autant de prudence de la part de ceux qui hier, ou pour certains bien avant, souhaitaient prendre les rênes du XV de France ? Parce qu’en demandant de poster une profession de foi, la FFR les oblige à se dévoiler très vite au sein de leurs clubs respectifs. Comme personne n’a la garantie d’être début juin l’heureux élu, tous craignent d’être fragilisés. Car avant de postuler, les candidats vont devoir annoncer cette semaine à leur président qu’ils envoient un courrier cacheté à Marcoussis, avec vue sur le XV de France. En plein emballage final du Top 14, pas facile à gérer…
Placé hors de cette zone de turbulences depuis qu’il a été viré de Montpellier, Fabien Galthié, qui ne manque pas de cachet, monte en pole position. Juste derrière lui on retrouve Raphael Ibanez. Depuis un mois, son président, Laurent Marti, piste trois remplaçants (Yannick Bru, Vern Cotter et Joe Schmidt). Troisième tête d’affiche, Fabien Pelous. Homme du sérail, élu fédéral, capitaine tricolore d’envergure et recordman des sélections, manager des équipes nationales de jeunes, il est déjà parfaitement intégré à Marcoussis et disponible immédiatement. Tout pour plaire.
Lundi 27 avril, la FFR qui joue l’ouverture communiquera-t-elle sur les lettres reçues et sélectionnées ? En attendant, les téléphones portables saturent. Certains ficèlent leur projet (ils ont commencé à l’écrire il y a déjà quelques temps), sondent certains de leurs collègues pour savoir qui a envie de travailler avec eux au sein d’un staff tricolore, et se demandent, alors qu’ils avancent encore un peu cachés, comment ils vont emballer tout cela pour l’offrir à leurs présidents, à leurs staffs et à leurs joueurs. Ils ont quinze jours devant eux. Et après, pour le(s) meilleur(s), quatre ans.

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Play it again

Après le sidérant Angleterre-France du Tournoi, la Coupe d’Europe nous offre un sequel. Une moitié, en espérant que ce soit la moins bonne, du XV de la Rose comprise dans les clubs de Northampton, Saracens et Wasps, se déplace en France. En forçant le trait, on peut presque annonce la revanche de Twickenham. En tout cas, la suite du dernier Crunch.
Croustillant, cet épisode 2 ?  A priori oui. Des matches comme celui-là, nous en redemandons, même si tout le monde n’est pas de cet avis. Du coup, je pensais même que le Top 14 allait devenir fou en explosant ses compteurs dans la foulée de cette dernière journée de Tournoi hors cadre. Ça n’a pas été le cas sur tous les terrains, mais franchement, Clermont-Stade Français, Bordeaux-La Rochelle, Montpellier-Lyon et Toulon-Toulouse avaient de la tenue, non ?
On pourrait comme ça continuer longtemps la poursuite du match magique. Mais la Coupe d’Europe s’inscrira-t-elle pour autant dans la continuité de Twickenham, de ces rebonds favorables, des envies de grand large ? Quand on regarde les oppositions, on peut répondre par l’affirmative. Et ce pour plusieurs raisons.
La première, c’est que les Anglais aiment asphyxier l’adversaire. Alors si l’on en croit ce qui a été décidé pour armer la grande cause nationale qu’est le Mondial 2015, l’axe de travail du XV de la Rose consiste à multiplier les temps de jeu. Impossible, connaissant la structure du rugby anglais, que ce choix ne soit pas épaulé par le travail tactique et physique effectué en club par les internationaux. Contrairement à ce qui se passe en France, l’échange est permanent entre staff national et Premiership, ce qui bonifie les deux camps. Northampton et Wasps sont dans cette dynamique-là, en tout cas. Les Saracens un peu moins. Mais restent experts dans l’art de conserver le ballon.
La seconde raison pour évoquer un France-Angleterre des clubs, c’est bien l’antagonisme historique entre les deux nations sur le plan européen. L’occasion est bonne de reprendre le leadership, côté anglais, laissé au Leinster et à Toulon, et de planter sur ce territoire-là un bouquet de Rose en année « Mondial». Jusqu’à s’offrir une finale made in England ?
La troisième raison, c’est l’envie française de s’inscrire dans l’histoire. Toulon vise un triplé, exploit absolu, unique, inimaginable, même pour un effectif galactique comme l’est celui du RCT. Clermont rêve de décrocher le seul titre qui lui manque, cette Coupe d’Europe de toutes les attentes. On sait que les deux clubs, leaders du Top 14, ont décidé de voter «oui» à l’Europe. Et d’y mettre toute leur énergie. Quant au Racing Métro, lui, c’est tout bonus. L’objectif quart est atteint, les Franciliens se sentent légers. C’est sans doute pour eux la meilleure façon de se préparer.
Enfin, quatrième raison, plus politique, plus structurelle et qui dépasse sans aucun doute les joueurs mais pas leurs dirigeants, lesquels savent toujours instiller le petit supplément de motivation au bon moment : parachever en se qualifiant pour les demi-finales la construction de cette nouvelle structure européenne, cette nouvelle compétition, plus élitiste, mieux contrôlée par les clubs, tournée vers le profit et la Suisse. Ne l’oublions pas, cette Coupe d’Europe 2.0 est l’œuvre conjointe des Anglais et des Français, l’alliance de l’épine et de l’ergot. Les résultats, quatre clubs anglais et trois français en quarts, semblent donner raison aux meilleurs ennemis associés. Reste maintenant à savoir qui aura la plus grosse, on veut parler de la représentation en demies.
Merci à toutes et tous de vous présenter avec au moins vos vrais prénoms et un mail identifiable.

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A points nommés

1359 mètres parcourus ballon en mains, 29 franchissements, 42 minutes de jeu effectif, 312 passes, 12 essais, 90 points. Angleterre-France 2015 prend place dans le Tournoi au titre de Crunch des records. Mais il serait injuste de ne pas associer les autres nations à ce festival de cannes. Samedi de folie en tous points (221 points et 27 essais en trois matches, là aussi records) qui tient d’abord de la surenchère. Et la première offre fut galloise.
Samedi, à Rome, les coéquipiers de Sam Warburton pensaient avoir fait le plus beau en s’imposant 61 à 20. Ils étaient virtuellement en tête du classement au bénéfice de la différence de points. Par ricochet, la France n’avait plus aucune chance de terminer première. L’Irlande éleva le jeu pour l’emporter 40-10 à Murrayfield, obligeant les Anglais à se lancer dans une orgie de percées, de relances et de contre-attaques pour espérer décrocher à la fois les Tricolores à Twickenham et le titre.
Au desk de lequipe.fr, d’habitude enclin à célébrer chaque but de football, les encouragements succédaient aux cris de déception, et les journalistes se retrouvèrent debout, signe que cette équipe de France ne laisse personne indifférent. Comme ailleurs, se partageaient en parts inégales ceux – les plus nombreux – qui appréciaient les 35 points inscrits et ceux qui regrettaient les 55 points encaissés. Mais comme dit je ne sais plus quel politique, «à moitié vide ou à moitié plein, au moins il y a de l’eau dans le verre»…
Depuis février, les clones de Marcoussis sont tristes et, surprise, Thierry Dusautoir et ses coéquipiers ont fini par nous offrir un délire inoubliable. Et ceux qui eurent la chance et le bonheur de vivre in situ ce moment de pure folie – comme ceux qui se trouvaient à Twickenham en 1991 pour l’essai du siècle – le placent au meilleur endroit dans leur musée ovale personnel.
Inclus dans un samedi sans répit, ce Crunch cuvée 2015 nous réconcilie avec le rugby professionnel. Quand les joueurs veulent s’amuser, se lâcher, tenter et oser ; quand la pression et les mauvaises excuses disparaissent, reste l’essentiel, à savoir le plaisir. A l’envi. Comme par hasard, les passes trouvent des mains et réciproquement. Les essais se multiplient. Et qu’on ne vienne plus ratiociner en regrettant les nouvelles règles : quand les joueurs le souhaitent, ils peuvent faire du rugby le plus beau des sports, aujourd’hui comme hier.
Depuis le début de l’année, sur ce Côté Ouvert, nous appelions de tous nos vœux à la joie de jouer. Samedi dernier, elle nous a été donnée, cette communion… On espère juste qu’elle demeure. Ce serait dommage que tant d’élan soit cloué d’ici le mois de septembre, que les passions enfin partagées selon Saint-André ne terminent comme un coup de pied tirebouchonné, c’est-à-dire en mauvaise parabole.
Avant le match, alors que nous échangions sur l’esprit du jeu, mon ami Jean Guibert (ancien coach de Tyrosse et de Dax) me fit part de son expérience concernant les jeunes joueurs en formation : «Quand on place quatre défenseurs face à eux, ils voient un mur alors qu’ils pourraient aussi visualiser cinq intervalles.» Quelques instants plus tard, dans les couloirs de L’Equipe 21, je faisais part de cette réflexion à Christophe Dominici, avant de lui demander ce qu’il percevait quand il jouait. L’ancien ailier du XV de France me fit la réponse suivante : «Je ne voyais pas les joueurs ni les intervalles. Je voyais l’espace derrière eux.»
Savoir qu’on va franchir. Se projeter. Traverser l’obstacle. Imaginer le possible. Pour cela s’adapter. Ça n’a pas changé depuis Jean Dauger : la passe est un viatique, une conviction à partager. Il reste toujours de nouveaux chapitres à écrire quand on veut bien commencer par : il était une foi. Croire en soi, regarder autour pour former ce tout qu’on appelle une équipe, et transmettre.
Cela fait quatre ans, maintenant, que je tiens bon contre vents de médisance et marées d’insultes en affirmant que PSA et son staff savent où ils vont (cinquante minutes de temps de jeu effectif), pourquoi (être champions du monde) et comment (grâce à deux mois d’intense préparation, incluant aussi la dimension mentale). Il leur restait juste à savoir avec qui. Samedi, à Twickenham, comme la semaine d’avant à Rome, beaucoup de joueurs ont marqué des points. Il était temps. Rendez-vous maintenant le 19 mai, pour savoir si Szarzewski, Picamoles, Harinordoquy, Trinh-Duc et Médard monteront dans le wagon des trente-six.
PS : merci à toutes et tous de vous présenter avec au moins vos vrais prénoms et un mail identifiable.

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Twickenham fort rêveur

Entre 1951 et 2005, on ne compte que dix victoires françaises à Twickenham dans le Tournoi. En affinant davantage le contenu, deux seulement depuis que le rugby est pro et une seule depuis l’existence du Six Nations. En tant que skipper, Thierry Dusautoir, malgré ses cinquante capitanats, n’y a jamais gagné, contrairement à quelques grands noms, comme Guy Basquet, Jean Prat, Jacques Fouroux, Jean-Pierre Rives (deux fois), Daniel Dubroca, Abdel Benazzi et Fabien Pelous, mais aussi, et c’est plus surprenant, Christian Darrouy et Claude Dourthe, qu’on n’attend pas à pareille fête.
Du dernier succès, en 2005, ne restent en activité que Damien Traille, Nicolas Mas, Julien Bonnaire parmi les titulaires, Gregory Lamboley, Yannick Nyanga, Frédéric Michalak et Jean-Philippe Grandclaude chez les remplaçants. Dix ans, c’est loin. C’est l’équivalent d’une génération renouvelée, un agrégat de nouveaux noms qui rêvent de passer à la postérité. Mais pour cela, il leur faut un succès. Cette génération n’a jamais aperçu de faille dans le Temple du rugby. La trouvera-t-elle, samedi ?
Des dix succès français à Twickenham, il en est un qui me plaît davantage que les autres. Souvent, on ne sait pas pourquoi on préfère tel exploit à tel autre.  A cause d’une madeleine, d’une pinte de lager, d’une heureuse compagnie, quelque chose d’indéfinissable…  Mais là, en l’occurrence, je connais parfaitement les raisons qui me font avancer cette victoire à Twickenham plutôt qu’une autre. Parce qu’elle évoque tout ce qu’il est nécessaire de présenter, d’exprimer et de partager pour jouer au rugby. Elle sert de générique à toutes celles qui la précédèrent et qui la suivirent.
Le 1er mars 1997, le XV de France se présente à Twickenham avec quelques «Marie-Louise». C’est la deuxième apparition de l’ailier berjallien Laurent Leflamand dans le Tournoi. Christophe Lamaison découvre lui aussi cette compétition, et pour la première fois au centre. L’autre ailier berjallien, David Venditti, a réussi un « coup du chapeau » en Irlande mais il ne connaît rien de Twickenham, tout comme le deuxième-ligne toulousain Hugues Miorin. Quant à Olivier Magne, c’est bien simple, il étrenne sa première titularisation. Un bonheur qu’il garde encore en mémoire. Parmi les remplaçants, on relève les noms de Ugo Mola (zéro sélection) et David Aucagne (une sélection).
Dans le vestiaire, avant le match, le capitaine prend la parole. Pour la première fois dans l’histoire du XV de France, il s’agit d’un «étranger» – je déteste ce mot sauf quand il s’agit d’un ouvrage d’Albert Camus. Il faut imaginer le vestiaire «visiteurs» de Twickenham, ses murs blancs, ses étroits casiers, ses bancs de bois, ses baignoires deux places en guise de douche. Un Marocain, Abdelatif Benazzi, parle de l’honneur de porter le maillot, de ce que représente le rugby français, des tripes qu’il va falloir sortir et du cœur qu’il faudra donner, tout à l’heure.
Le match ? Le troisième-ligne aile Lawrence Dallaglio, majestueux au moment de traverser seul la défense française, inscrit un essai galactique juste avant la fin de la première période. Comme l’ouvreur Paul Grayson est en réussite, à la mi-temps, la France est menée 14-6. Le score est flatteur pour les coéquipiers de Benazzi et n’indique pas la domination anglaise. D’autant que Grayson passe un but et un drop pour distancer les Tricolores, 20-6. A la cinquante-deuxième minute, on croit ce XV de France sonné pour le compte. Twickenham gronde de plaisir.
Que dire de la suite sans utiliser de superlatifs, sans tomber dans l’emphase ? Ceux qui n’ont pas vu ce match diront que j’affabule. Heureusement, il y a des images. Sinon, on pourrait croire à l’épopée forcée pour vendre du papier. Pour rester sobre, disons que beaucoup de fierté et d’amour-propre, une grosse mêlée, des plaquages désintégrants et des relances tranchantes permirent à cette équipe de remonter son handicap au score en inscrivant dix-sept points d’affilée entre la soixante-deuxième et la soixante-quinzième minute pour l’emporter 23-20.
Samedi, les coéquipiers de Dusautoir auront face à eux ce genre de défi à relever. Un territoire hostile, un adversaire porté par son public, la victoire finale dans le Tournoi à portée de mains. L’idéal pour s’étalonner et surtout commencer à construire une aventure humaine. Dix ans que les Tricolores ne l’ont pas emporté à Twickenham. Pour écrire leur histoire, il leur faudra agréger en une heure et demie toutes les bonnes séquences présentées par bribes depuis un peu plus de trois saisons. C’est possible. Se dire aussi que l’Ecosse a su faire déjouer les Anglais et l’Irlande les faire chuter.

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Gladiator

Se seraient-ils levés, l’un après l’autre, après avoir été montrés du doigt par le staff pour leur individualisme, leur égocentrisme, leur nombrilisme, pour soudain affirmer : «Je suis Spartacus», ou Maximus, bref, se transformer en gladiateur, suivant en cela l’injonction de leur coach Philippe Saint-André, que ça n’aurait sans doute rien changé. De toute façon, nous ne savons pas vraiment ce qui s’est dit, dimanche soir dernier, à Marcoussis, lorsque les joueurs se sont retrouvés entre eux pour préparer Italie-France devant quelques bouteilles de jus d’abricot.
Ce ne sont que des mots sur les maux. Il faut les poser, certes, mais pourtant autant ces Tricolores sont-ils capables de devenir, enfin, des lions ? Les plans de jeu et la confiance du staff, ils les ont. Malgré la bouillie de rugby rendue, malgré les coups de gueule comminatoires, ils ont en main la partition et la quasi assurance de la jouer en septembre. Que leur faut-il de plus ? Il leur faut l’essentiel et c’est bien là le cœur du problème.
Polis, bien élevés, ils disent bonjour et vous serrent la main sans vous broyer les phalanges. Ils ont le sourire naturel, les mots pas toujours choisis et c’est ainsi que l’on perçoit toute leur naïveté, touchante. Quelques agacements de temps en temps mais rien de solide, de rugueux, de mâle. Ces Tricolores sont les enfants du professionnalisme. Ils exercent leur métier le mieux du monde, du moins le pensent-ils, en essayant de se faire aimer.
Ce qu’ils connaissent de la vraie vie, à quelques exceptions près, c’est le rugby du matin au soir, six jours par semaine, quarante-cinq semaines par an depuis qu’ils ont dix-huit ans. C’est d’ailleurs ce que leurs employeurs leur demandent. Ce sont des agneaux. Et voilà qu’ils sont menés à Rome, dans le colisée du rugby transalpin, là où justement depuis quatre ans ils se font dévorer.
Je me trompe souvent mais j’ai la triste impression que la furia italienne va les submerger en début de partie, que la mêlée italienne va les mettre à la faute. Ils lanceront un baroud d’honneur quand tout sera perdu et feront naître des regrets. Des buts de pénalité auront été manqués, des occasions avortées pour un ballon tombé et, au milieu, une guerre de plaquages et de turn-over arbitrée selon le principe de Salomon sans que l’on sache très bien où est la faute et qui l’a commise. Au final le chapitre romain se refermera sur un score serré et un sentiment d’injustice.
Pour enrayer ce scénario, les coéquipiers de Thierry Dusautoir n’ont qu’une seule solution à leur disposition : briser leurs chaînes. Cette équipe n’a pas de limites sauf celles qu’elle se fixe. Elle est tétanisée par ses propres peurs : peur de mal faire, peur de déplaire, peur d’oser et de se tromper, peur de perdre ses avantages acquis, à savoir une reconduction tacite jusqu’au 19 mai et l’annonce des trente-six. Elle préfère ne rien faire plutôt que de tenter quelque chose qui sortirait du cadre établi.
Casser le carcan, sortir du cocon, se révéler enfin à elle-même… Pour cela, cette équipe de France doit faire preuve d’irrévérence. Mais a-t-elle son Spartacus, son Maximus, ce leader capable de réveiller les consciences endormies dans le silence de Marcoussis ? Pascal Papé sanctionné et donc absent forcé, Morgan Parra blessé et donc forfait, elle ne dispose que de Nicolas Mas et de Thierry Dusautoir derrière lesquels entrer dans l’arène. C’est évidemment peu.
Tous les autres sont comme William Webb, ils sont lisses. On ne voit aucune révolte sourdre, on n’entend aucun hurlement déchirer l’air. Pas d’énervement, pas de colère, ces ferments de l’exploit. Ils comprennent, presque soumis, l’ire de Saint-André et sa sortie de dimanche dernier avec les «starlettes». Ils lui donnent même raison.
Une défaite supplémentaire contre l’Italie, dimanche, ridiculiserait encore davantage – est-ce possible ? – cette génération bleu pâle. Après s’être refermée sur elle-même en début de semaine pour vider ses frustrations, on doute qu’elle soit capable d’enfermer le staff entre quatre murs avant le match contre l’Angleterre à Twickenham pour lui jeter ses doutes à la figure pour le cas où ça tournerait vinaigre au Stadio Olimpico. En 1989, Berbizier, Rodriguez et Blanco avaient ainsi secoué Jacques Fouroux à Invercargill. En 1999, à Londres, Galthié et Lamaison avaient pris les clés du camion bleu des mains de Skrela et de Villepreux. En 2011, à Auckland, le clan des Berjalliens s’était écarté de Lièvremont.
Le philosophe Jean-Pierre Rives, roi des aphorismes en acier, sculpteur de mots et accessoirement capitaine du XV de France a dit : «Le rugby, ce sont des hommes et un ballon. Quand il n’y a plus le ballon, restent les hommes.» Les coéquipiers de Thierry Dusautoir se lieront comme des frères à Rome, inspirés par la deuxième phrase pour mieux mettre en œuvre ensuite la première. C’est le seul viatique qui leur reste.

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