Glissement de terrain

Il ne s’agit pas seulement d’additionner les Toulonnais convoqués par Philippe Saint-André et son staff au stage préparatoire, fin septembre, de Marcoussis. Certes, c’est le premier réflexe et on monte à huit, désormais, après le forfait de Yannick Nyanga : Xavier Chiocci, Alexandre Menini, Guilhem Guirado, Romain Taofifenua, Virgile Bruni, Sébastien Tillous-Borde, Mathieu Bastareaud et Maxime Mermoz. Sept sur trente. Un quart du groupe France, à la louche.
C’est autant que de Clermontois et de Toulousains réunis ; c’est deux fois plus que de Montpelliérains, de Parisiens, de Franciliens et de Castrais. Le 21 septembre, en suivant les chiffres, Toulon est devenu l’épicentre du rugby français. Et encore sans celui, il y a peu, que PSA considérait comme son chef d’orchestre ci-devant grand absent de la liste des trente de la convention FFR-LNR, à savoir Frédéric Michalak, blessé.
Dans le groupe des supervisés par le comité de suivi émargent aussi le talonneur Jean-Charles Orioli et le deuxième-ligne Jocelino Suta. Dans celle des étrangers potentiellement sélectionnables fournie le 12 septembre, Steffon Armitage et David Smith. Au total, comptez les treize. On pourrait même pousser plus loins en signalant que Fabien Barcella, Sébastien Bruno et Nicolas Durand, quelques sélections, peuvent dépanner au cas où, vraiment…
On rigole, mais pas tant que ça. Le sujet mérite considération puisqu’il alimente les conversations et les unes. Enfin quoi, voilà un club qui cristallise beaucoup de critiques – parce que son président recrute depuis 2006 et Tana Umaga des stars par paquets de six chaque saison – et se retrouve d’un coup d’un seul au cœur du dispositif tricolore, vivier dans lequel puise le XV de France, source de renouvellement et de concurrence pour un effectif de conventionnés qui menaçait, depuis la tournée catastrophe de juin en Australie, de s’endormir.
Un glissement de terrain s’est effectué, comme il s’en produit régulièrement depuis 1892. De Paris, l’épicentre du rugby français a dérivé vers Bordeaux puis vers Toulouse. Dans les années cinquante, il se situait en Bigorre, à Lourdes plus exactement. Dans les années 70 et 80, on le trouvait en Languedoc, sur l’axe Béziers-Narbonne. Puis ce fut le retour à Toulouse en 1985. Jusqu’à aujourd’hui.
Mais voilà, un seul trois-quarts de la ville rose dans le groupe des trente stagiaires, en l’occurrence l’ailier Yoann Huget, c’est du jamais vu depuis l’avènement au centre de Denis Charvet et d’Eric Bonneval. De dis-je, c’est un séisme ! Les maladresses, les mauvais choix et la frilosité des attaquants toulousains ont fait, ces derniers temps, bouger les plaques ovales et, désormais, Toulon chevauche Toulouse.
Doubles champions d’Europe (2013, 2014), champions de France (2014) et deux fois finalistes depuis 2012, les Varois dominent. Et pas seulement avec leurs recrues étoilées. Une jeune garde pointe le nez. Susceptible de rejoindre le XV de France. Aujourd’hui, Toulon possède tout : l’effectif pléthorique de qualité, le palmarès envié et rêvé, un public de feu à guichets fermés, les appelés dans le groupe France. Qu’est-ce que le RCT peut envisager de mieux ?
Ah, si… Il lui reste à conquérir le pouvoir politique. De 1966 à 1990, il fut solidement planté à Agen et tenu par deux piliers, Albert Ferrasse et Guy Basquet. Après un passage à Tarbes (Bernard Lapasset, 1991-2007), il est depuis six ans au Pays Basque (Pierre Camou, Serge Blanco). Mais pour combien de temps, encore ?
On prête à Bernard Laporte l’envie de se porter candidat à la présidence de la FFR. Champion de France avec Bègles comme joueur (1991), entraîneur champion de France avec le Stade Français (1998) et Toulon (2014), champion d’Europe aussi (2013 et 2014), sélectionneur national (2000-2007), secrétaire d’Etat aux Sports (2007-2009), Bernie le Dingue, avec ses casseroles et ses trophées, n’est pas si fou que ça. Sa carte de visite impose le respect, ses saillies un peu moins. Lui le Tarnais, fils de communistes et ami de Sarkozy, fera-t-il pencher encore davantage l’ovale vers le Var ?
En attendant, n’en déplaise à ceux – et j’en ai fait partie, je l’avoue – qui regrettaient que le RCT et sa phalange dorée venue de l’hémisphère sud phagocyte le Top 14, déboussole le marché des transferts et affole les compteurs bleus, Toulon tient désormais, centre de formation y compris, tous les atouts dans sa main. Il mène le jeu et c’est parti pour durer. Félix Mayol aurait rajouté : «un point, c’est tout !»

Publié dans rugby | Laisser un commentaire

A la limite

Le Stade Toulousain a perdu à trois reprises, en ce début de saison. Comme l’an passé à pareille époque. Mais perdre successivement trois fois ramène le club du président René Bouscatel à l’ère amateur, dans ces années 70, celles des troisièmes mi-temps se terminant au petit matin, des blagues de carabins et des débordements d’un certain Guy Novès en bout d’aile.
Il y a un an et demi de cela, ici même, nous constations la chute de la maison toulousaine au détour d’une défaite à domicile face à Perpignan. Ce blog était tout jeune mais l’impression ne datait pas de février 2013, non, elle remontait bien plus en amont, en 2009, plus exactement, au moment où Jean-Baptiste Elissalde, joueur protée s’il en est, venait de prendre sa retraite de joueur.
Toulouse neuvième après cinq journées, dix points au compteur, c’est un point de moins que la saison passée. Deux victoires et deux points de bonus, c’est maigre. Mais laissons de côté l’approche comptable pour l’instant et évoquons le jeu. Là aussi, amer constat : référence absolue depuis 1985 en matière de mouvement, le Stade Toulousain a perdu sa superbe et sa particularité pour n’avoir pas su se renouveler.
De 2005 – année de création du Top 14 – à 2013, le club entraîné par Guy Novès émargeait, après cinq matches, entre la première (deux fois) et la quatrième place. Pour autant, son rugby s’est délité petit à petit depuis cinq saisons perdant l’intelligence situationnelle – quel jargon alors que « vista », en cinq lettres en dit autant – chère à Pierre Villepreux, l’art de la relance et le jeu dans les intervalles qui étaient le label toulousain entre 1985 et 2009.
Certes, il y a eu des titres, trois entre 2010 et 2012, (j’en sais quelque chose puisque Guy Novès m’a dédié le titre européen conquis face à Biarritz) et nombreux sont les clubs qui auraient aimé remporter autant de trophées en si peu de temps. Mais il faut aussi constater à quel point la concurrence, mal préparée, frileuse, acceptait l’hégémonie toulousaine, envoyant aux Sept-Deniers puis à Ernest-Wallon des équipes bis, voire ter, tellement il était difficile, voire impossible, de s’imposer en terre toulousaine. Samedi, battu devant son public par Clermont, Toulouse a définitivement exposé aux yeux de tous ses limites.
Une mêlée qui tangue, un jeu de passes défaillant, des combinaisons éventées, un milieu de terrain (troisième-ligne centre, demi de mêlée, ouvreur et premier centre) incapable de créer des espaces : certains observateurs disent que c’est conjoncturel, je pense pour ma part que c’est structurel. Pour n’avoir pas voulu ou pas pu voir la réalité en face, ce club naguère hors du lot est rentré dans le rang. Il se retrouve désormais à son point de départ, c’est-à-dire sans fond de jeu.
Il y a un an et demi, que n’ai-je lu sur ce blog pour avoir tancé le Stade Toulousain : « inventeur de polémiques » (Carole), « journaliste people » (Guillaume), « incompréhension de ce qu’est le rugby moderne » (François), « chroniqueur de Voici » et « article nauséeux » (De Chanterac), « pathétique » (Fabrice) ; et il y avait même un Richard B. qui m’enjoignait « à quitter ce métier », preuve que l’amour des couleurs peut pousser à tous les excès, y compris de lucidité.
Avec le recul, ces bourre-pifs distribués à la volée ont donné vie à ce blog. Parce qu’il a fallu argumenter, ne pas s’en laisser compter, faire front et continuer à suivre son chemin, écrire que le Stade Toulousain perdait ce qui avait fait son renom et son palmarès, à savoir l’innovation, cette créativité que l’on retrouve désormais en regardant Bordeaux et Grenoble, cette rage de vaincre qui transpire maintenant à Oyonnax et à Brive, cette liberté dans le jeu exprimée cette saison à La Rochelle et au Stade Français. Il existe le bonus défensif mais heureusement pour le Stade Toulousain qu’il n’y pas de malus offensif, vu le jeu qu’il propose.
Le choix d’un vocabulaire de football – milieu de terrain – pour évoquer les créateurs remonte aux années 80 durant lesquelles Toulouse allait changer durablement la façon de jouer au rugby et inspirer tout le monde, d’Edimbourg à Christchurch, des techniciens comme l’Ecossais John Rutherford et le All Black Wayne Smith se recommandant de l’école Villepreux. Ainsi, l’axe 8-9-10-12 (Cigagna-Lopez, Rouge-Thomas, Charvet) était le socle sur lequel s’agrégeait le mouvement.
A la fin du quatuor Sowerby-Elissalde-Michalak-Jauzion, le Stade Toulousain s’est mis à polluer sa partition de fausses notes. Au début, quelques unes. A peine perceptibles. Aujourd’hui, la cacophonie l’emporte. Les coffres à ballon pullulent, le contenu est conservateur. Le ballon passe par le sol alors que la clé a toujours été de rester debout pour le passer. Samedi, face à Clermont, quand il s’est agi d’assurer le bonus défensif plutôt que d’aller chercher la victoire, beaucoup de supporteurs toulousains – et j’y inclus les anciens joueurs et les anciens entraîneurs rouge et noir qui se sont bien gardés, depuis cinq saisons, de critiquer le jeu pratiqué par leur club de cœur par amour du maillot – ont été déçus, voire choqués.
Perpignan, Agen et Biarritz, Narbonne et Béziers sont aujourd’hui en ProD2 pour n’avoir pas su anticiper la fin de leur cycle. Lourdes et Mazamet, phares des années 50, évoluent désormais en Fédérale. La roue tourne. Toulouse n’est pas encore en danger, pas comme l’est Castres, par exemple, mais cette neuvième place doit être le signal d’une reconquête au mieux, d’un changement radical au pire ; changement de ton, de discours, d’hommes, d’approche, de philosophie de vie et de rugby.
La sixième journée sera peu amène. Toulouse se déplace au Racing-Métro, seul gros, cette saison, à n’avoir pas encore perdu à domicile. Il existe un tout petit espoir de rédemption sans lequel aucun défi ne mérite d’être relevé. Les Toulousains, qui aligneront sans aucun doute leur équipe type, auront les crocs et s’ils ne les ont pas, c’est à désespérer. En cas de défaite des hommes de Novès, La Rochelle (qui reçoit Bordeaux) et Brive (qui reçoit Toulon) peuvent monter au classement et reléguer Toulouse à la onzième place. Du jamais vu. Ceci est une autre histoire ? Non, c’est toujours la même.

Publié dans rugby | Laisser un commentaire

Au parfum

Un pas de côté qui ne ressemble même pas à un crochet ; buste, hanches et jambes dissociés, une accélération foudroyante et au bout, l’essai ! Après quatre journées de Top 14, ils sont quelques uns, Nagusa, Ratini, Masilevu et maintenant Bobo, à marquer les imaginations. D’où sortent-ils ? Qui sont-ils ? Pourquoi ont-ils autant de facilité à laisser leurs adversaires les pieds plantés dans le ciment ?
Cette fois-ci, je vous ai suivi. Au lieu d’être inquiet qu’un président de club, M. Mohed Altrad, du stade du même nom, se voit un jour (dans L’Equipe du mardi 9 septembre) et tout seul champion de France en oubliant, lui le fin lettré, que le moi est haïssable, sans me détourner de leur sentier lumineux j’ai emprunté la piste des nouveaux attaquants du Top 14, ces chasseurs d’essais qui éclairent le Championnat.
Samedi, à Brive, Benito Masilevu a feinté Toulouse d’un seul appui, arrêtant trois défenseurs sur une surface équivalente à un mouchoir déplié. Jouissif pour celui qui, comme nous au milieu de l’orage, attend les éclairs. Plus loin, plus tard, Ratini effectua un déboulé face à La Rochelle et j’ai beau apprécier pour les raisons que vous connaissez ce Stade-là, on ne peut qu’applaudir cette course irrésistible de la flèche grenobloise ponctuée de subtiles feintes de corps. Tout comme Bobo, vendredi soir, face à Castres.
Il y a très longtemps, j’ai lu – c’était obligatoire au collège – une partie choisie des Pensées de Blaise Pascal. Le premier, avant que je tombe dans Allais, Nietzsche, Guitry, Renard, Cioran et Desproges, ce philosophe m’a fait apprécier les aphorismes pour leur sens ramassé, leur intensité, leur explosivité et ce qu’ils laissent ensuite dans notre esprit une fois lus. Mais ce n’est que récemment que je me suis aperçu que ses Pensées étaient écrites sur des liasses. Voilà donc bien le genre de lecture, adaptée à leur moyens, que je conseille vivement aux nouveaux présidents.
On parle beaucoup des All Blacks – y compris M. Altrad dans son interview – mais ceux qui ne coûtent pas cher et rapportent beaucoup, ce sont les Fidjiens. Le Top 14, qui a du nez, a d’ailleurs recruté leur équipe nationale de rugby à 7, entre autres Talebula, Nayacalevu, Nagusa, Ratini, Botia, et depuis peu Viriviri et Masilevu, étoiles – filantes, bien entendu – du circuit à 7. En 2013, cette constellation occupait le troisième place mondiale. En 2016, à Rio, tout porte à croire qu’elle sera médaillée olympique.
Le mois dernier, en Chine, face au Kenya, l’Argentine, le Japon, les Fidji et les Etats-Unis, la France (moins de dix-huit ans) a décroché l’or à l’occasion des J.O. de la Jeunesse. Première apparition du rugby dans le giron olympique depuis 1924, à signaler pour l’histoire. Avec, côté tricolore, une sélection de jeunes internationaux à XV construite à la hâte après le forfait des Anglais, à charge pour Thierry Janeczek – ancien coach de France 7 qui reste le seul à avoir gagné une étape du circuit IRB, en 2005 – de donner à ces gamins qui ne connaissaient rien de ce jeu ovale les outils pour en saisir l’esprit.
« L’objectif de ces jeunes, c’est Rio. Même si ce sera difficile, certains d’entre eux peuvent tout à fait, d’ici deux ans, être sélectionnés pour les Jeux, » précise Janeczek, venu prendre un café à lequipe.fr, la semaine dernière. A condition que la France se qualifie, ce qui n’est pas acquis. Il lui faut terminer dans les quatre premières places du circuit IRB. Dans le cas contraire, en rattrapage, décrocher la seule place qualificative de la zone Europe. Gérard, commentateur de ce blog, nous précise : « Les séries mondiales qui qualifient quatre équipes auront lieu d’octobre 2014 à mai 2015 ,et le tournoi qualificatif européen est prévu l(à partir du) 1er août 2015. »
« Deux ans (pas tout à fait, donc, NDLR), c’est assez pour construire une belle équipe de France, » souligne celui que ses amis surnomment « le Zèbre« , et qui a débuté à 7 en 1986 avec les Barbarians français (Fourniols, Cecillon, Cabannes, Rodriguez, Peuchlestrade et Bonal) evant de clore cette parenthèse dorée en 1993 avec Deylaud, Bernat-Salles, Bonneval, Berty, Faugeron, et toujours Cabannes. Entraîneur national de 1996 à 2011, l’ancien flanker Tarbais a aujourd’hui pour mission d’éveiller à cette discipline les jeunes du pole France à Marcoussis. On espère que la FFR va penser à lui pour apporter son savoir à l’équipe de France 7 en route vers Rio…
On peut imaginer qu’en 2016, des internationaux du Top 14, comme Vincent Clerc ou Julien Malzieu, intègreront France 7. « Pour compléter le groupe, c’est intéressant, reconnaît l’ancien international. Mais on ne peut pas aller au delà de deux renforts. Car il y a une équipe de France aguerrie, avec des joueurs pros sous contrat fédéral, qui se prépare depuis août 2010 à l’échéance olympique. Pour qu’un joueur venant du XV se spécialise à 7, il lui faut deux ans de pratique intensive. »
Les Fidjiens, eux, effectuent le chemin inverse. Ils débutent par le 7 (Bolo Bolo en fut, au Stade Français, le premier exemple, Nalaga le plus percutant et Bobo le dernier en date, à Marcel-Deflandre) avant d’être remarqués puis recrutés par les quinzistes. Avant eux, l’Australien David Campese puis le Néo-Zélandais Jonah Lomu furent exposés lors du tournoi à 7 de Hong-Kong afin de faire carrière à XV. En 1985-95, la France figurait parmi les nations qui comptent. Vingt ans plus tard, le constat est sans appel: les Bleus se battent pour figurer dans la Plate, deuxième division mondiale.
Je suis un peu dur avec M. Altrad, j’en conviens. L’interview qu’il a donnée comporte quelques allusions au jeu et au « nous ». On y parle gros sous, c’est entendu, marketing, budget, produits dérivés, mais qu’attendre d’un homme d’affaires qui a fait du stade son jardin privé et englouti des millions d’euros – les financiers parlent en meuros – dans son rêve. Intêressé par le rendement, M. Altrad doit se réjouir d’avoir sous ses couleurs Nagusa mais surtout Viriviri, considéré aujourd’hui comme le meilleur fidjien à 7. On attend avec impatience qu’il débute, celui-là, pour électriser le Top 14 des propriétaires.

Publié dans rugby | Laisser un commentaire

Les duellistes

On se demandait s’il pouvait exister un nouveau clasico dans le Top 14 ; un de ces rendez-vous qui font monter l’adrénaline et l’envie ;  un duel de genres, du type Toulon-Toulouse de l’ère Herrero-Villepreux dans les années 80 ou, pour prendre une référence plus récente à l’usage de nos jeunes internautes, du Stade Français – Stade Toulousain des années 2000 quand Max Guazzini était en train de d’inventer l’emballage ovale, avec pom pom girls, tee mobile, démonstration de gymnastique, feu d’artifice, lion sous tranxène et groupe de rock ?
Et puis sont montés de la ProD2 Mourad Boudjellal et Jacky Lorenzetti pour animer nos prime-time. Que ce soit une tentative de baiser sur la bouche ou une allusion moins que voilée au détournement de la masse salariale, le moins qu’on puisse dire c’est que ces deux-là vont finir par se détester. Depuis quelques temps déjà le ton monte et les échanges, de la Rade à Colombes, n’offre pas le meilleur du rugby. Comme aiment à le répéter ceux que ce concept même irrite, «ça ne fait pas très valeurs.»
J’avais ici envie de vous parler du stage des arbitres à Tignes – pas très glamour, certes, mais option intéressante si on aime le jeu car ceux qui l’orchestrent en direct et au sifflet ont longuement évoqué la semaine dernière ce qu’ils appellent «la conduite du match», expression nettement plus adaptée que «gestion». Je voulais vous faire partager quelques informations, comme par exemple la création d’un statut «semi-pro» pour une dizaine d’arbitres, et même la hauteur de leurs émoluments.
Mais en allant tripoter mon azerty comme un lundi, que lis-je ? La réponse de Mourad à Lorenzetti qui s’adressait à Boudjellal lequel auparavant avait interpellé Jacky ; et toutes ces amabilités de présidents-propriétaires lâchées en trois jours, avec au passage le soin d’en appeler à la LNR et à son président. L’avantage de ce type d’échanges, voyez-vous, ami(e)s de ce blog, c’est qu’on y trouve toujours quelque chose de plus pathétique que ce qu’on venait y chercher.
Je voulais aussi vous parler de la médaille d’or des jeunes Français du rugby à 7 remportée aux Jeux Olympiques de la Jeunesse, en Chine. Une équipe de France composée entre autres des jeunes Retière et Roumat, Arthur et Alexandre de leurs prénoms, deux gamins plein de sève dont on entendra bientôt davantage parler, France 7 entraînée par Thierry Janeczek, un des plus grands connaisseurs de ce jeu si particulier, qui n’est pas, comme certains le croient, la moitié du quinze mais bien une discipline à part entière.
Mais voilà, moi aussi – je n’ai pas honte de l’écrire – je me suis trouvé happé par le numéro de duellistes, «Mourad et Jacky», désormais voué à devenir l’attraction numéro un du grand cirque ovale. Et pas parce qu‘ils me font rire, non. Plutôt par curiosité:  lorsqu’ils se déchirent à travers mots, ce sont des maux qui remontent à la surface. On voit bien que ces millionnaires-propriétaires disposent d’un arsenal de vacheries, et chaque fois en distillent davantage.
Encore un effort et nous saurons ce qui se cache derrière, ou dessous, le budget d’un club de Top 14, qui triche et à quelle hauteur, comment se détournent les règlements et s’ignore le gentlemen’s agreement ? Dans leur joute verbale à distance, Mourad et Jacky crèvent la protection que s’accordent les présidents, leurs pairs, pour construire une petite affaire ovale qui tourne. Ce faisant, ils nous éclairent. Encore un effort, Jacky et Mourad, et le jeu de rugby ne sera plus qu’un alibi.
En lisant non pas Joseph Conrad mais tout ce déballage nauséabond répandu dans le caniveau – véritable règlement de comptes bancaires – la première question qu’on peut se poser est la suivante : jusqu’où iront ces deux-là dans la surenchère ?… En livrant des secrets de famille et de fabrication, ils ont jeté l’opprobre sur leur fonction, président, c’est-à-dire responsable placé au-dessus de la mêlée. Vont-ils finir par enfoncer le rugby, le jeu et les joueurs, en les tirant là où eux se situent, c’est-à-dire vers le bas ? A la vitesse où ils filent leurs métaphores de marchands de bestiaux, on peut malheureusement le craindre.
Restons positif : le Top 14 y a gagné désormais un clasico, un vrai, un dur, un de ces matches qui sonnent autant sur le terrain que dans les tribunes, les gazettes et les couloirs de vestiaires. De quoi alimenter la chronique, quoi… Du coup, pour ne pas oublier l’épisode suivant, je vais cocher la date du 10 janvier 2015. Cela dit, ce n’est peut-être pas la peine, Jacky et Mourad me le rappelleront le moment venu. Et je suis, sans doute comme vous, incorrigible, et donc curieux de savoir jusqu’où ils peuvent descendre.

Publié dans rugby | Laisser un commentaire

Nationale

Tout peut s’éteindre du jour au lendemain. Ce fut malheureusement le cas pour d’autres sports collectifs qui virent leurs diffusions disparaitre d’un seul coup du paysage télévisuel. Pour l’instant, le rugby surfe toujours sur la vague, et ce depuis la création de Canal. Mais rien n’indique que cette manne financière, cet éclairage médiatique et cet impact économique soient fait pour durer éternellement.
On voit déjà des tensions poindre. Canal et BeIN souhaitent couper la plus grosse part du gâteau pro et se poursuivent jusque que dans les cours de justice ; France Télévisions n’est pas très enclin à relancer au même tarif la Coupe d’Europe depuis que celle-ci a changé, cette saison, de gouvernance. Comme le dit Paul Goze, président de la LNR à l’origine de ces deux remises en question : «Tout peut s’arrêter !»
C’est bien pour cela qu’il est utile de changer avant que les événements ne vous y obligent. Ainsi, la semaine dernière, au fil d’une croisière – ma foi très agréable et en bonne compagnie – en bateau-mouche sur la Seine, et après avoir présenté le Championnat de ProD2, le patron du rugby pro, en verve de confidences, nous a avoué avoir en projet l’articulation de trois championnats d’élite.
Quarante-deux clubs formeraient les trois derniers étages du rugby français. Quatorze dans l’élite : là, rien ne bougerait. En revanche, dans l’optique d’harmoniser ces trois divisions, il conviendrait de retrancher deux clubs en ProD2, et de créer une « Nationale » comprenant les quatorze meilleurs clubs de Fédérale 1, ces trois divisions ayant pour objectif de couvrir le plus largement possible l’hexagone.
Contrairement au football, au basket et au handball, ses concurrents médiatiques, le rugby d’élite n’est pas achalandé sur tout le territoire. Son ADN trouve sa source dans le Sud-Ouest, zone historique dont les angles se situent à Brive, à Bordeaux, à Biarritz et à Perpignan. Tracez ce rectangle et comptez ensuite le nombre de clubs compris dans sa surface.
En revanche, c’est bien la limite d’Ovalie que de ne pas exister au plus niveau en Bretagne, dans le Nord, en Normandie et en Alsace-Lorraine, par exemple. C’est pourquoi la FFR et la LNR se penchent sur le sujet. Certes, la résolution ne sera pas trouvée, votée et mise en œuvre avant cinq ou six ans, mais l’avenir du rugby de haut niveau en France passera, inéluctablement, par un élargissement de ses frontières.
Nantes, Rennes, Rouen, Caen, Le Havre, Lille, Arras, Strasbourg : le rugby doit rebondir au plus haut dans ces villes-là. La mutation économique est aujourd’hui validée, avec l’essor du Racing-Métro, de Toulon, du Stade Français, de Montpellier, de Bordeaux et de Lyon, adossés aux clubs historiques que sont Toulouse, Clermont, Brive, Grenoble, Bayonne et Castres.
Reste à effectuer un glissement géographique en direction du nord, de l’ouest et de l’est. Si aujourd’hui ce projet devait prendre forme, la «Nationale» dont on parle serait composée de Massy, Aix, Lille, Aubenas, Nevers, La Seyne, Macon,  Bourg et Vannes, de quoi capter de nouvelles zones, Tyrosse, Montauban, Auch, Périgueux et Lannemezan ancrant cette division d’élite des clubs de Fédérale 1.
Le Top 14 et son chapelet de stars venues d’ailleurs se trouve actuellement au zénith de la notoriété. La ProD2 mise, elle, sur les clubs titrés pour (re)dorer son image. Dans ce sillage, il n’est pas irréaliste de créer un sas pour les plus ambitieux du secteur amateur, sous tutelle de la FFR, afin qu’ils puissent intégrer dans les meilleurs conditions le secteur professionnel, sous l’égide, lui, de la LNR. Aider de nouvelles pousses à grandir est un pari pour l’avenir. Vital.

Publié dans rugby | Laisser un commentaire

Dans le buffet

Il y a des week-ends, comme celui-là, qui débordent. Où il faut jongler sur les canaux, chauffer la télécommande, déjeuner et dîner sur le pouce, voire même mettre les plateaux repas à l’index tant il y a à voir, à disséquer, à commenter, à analyser, à écrire. Le Four Nations (on dit Rugby Championship mais c’est naze), le Top 14 et la Coupe du monde féminine en continu du vendredi soir au dimanche soir, c’est copieux… Sans oublier de regarder un peu d’athlétisme.
Floria Guei a retenu mon attention, tout comme Magali Harvey. On peut se retrouver quatrième, loin derrière un trio de tête à deux cents mètres de la ligne d’arrivée, et finir première. Chapeau ! Il faut des tripes et du mental. C’est ce qu’avaient aussi les joueuses de rugby, dimanche, lors des finales, la petite et la grande, à Jean-Bouin. Quatre nations (Angleterre, Canada, France et Irlande) nous ont régalées, il faut l’écrire, par leur pugnacité, leur esprit d’équipe, en somme leurs vertus.
L’ouverture du Top 14, elle aussi, était chorale. Toulon en roue libre, serein, presque léger, développant son jeu avec fluidité. Il faut dire qu’avec Matt Giteau à l’ouverture, l’huile de coude déride les inspirations ; Brive leader, le Stade Français et le Racing-Métro vainqueurs, paris gagnés ; Grenoble et Oyonnax remuants, sans complexes mais pas récompensés, ce dernier même volé, clairement, d’une pénalité pour la gagne à Ernest-Wallon.
Y a-t-il quelque chose de changé ? Non, on retrouve Toulouse balbutiant son rugby comme en fin de saison dernière. Comme depuis deux saisons, cela dit… Mais ce n’est pas une demi-surprise qu’Oyonnax soit capable de mettre les hommes de Novès-Servat-Elissalde en danger, c’est juste la confirmation que ce Top 14 sera encore plus serré que prévu. Clermont battu lui aussi à domicile en barrage, la saison dernière, a été accroché par des Isérois avec lesquels il faudra compter dès les premiers matches, c’est une habitude désormais.
La surprise, c’est le gros coup de moins bien des nations de l’hémisphère sud dès lors qu’elles sont soumises aux éléments climatiques défavorables, la pluie en l’occurrence. Deux tests négatifs, entachés de fautes de mains, affaiblis par des plans de jeu frileux. A l’automne 2015, le crachin anglais et le vent froid, comme d’habitude, nivèleront les valeurs et l’on verra dans un peu plus d’un an davantage de jeu au pied que de doubles sautées redoublées.
Je voulais aussi vous faire partager deux réflexions. La première, c’est qu’en réduisant le bonus défensif à cinq points d’écart maximum, la LNR rêvait de valoriser l’offensive. Résultat ? Quatre bonus défensifs (Oyonnax, Montpellier, Castres et Grenoble) pour un seul bonus offensif (Brive). Des scores serrés mais, côté contenus, des matches enlevés, bourrés de suspense et d’allant jusqu’au bout. Une tendance à confirmer, donc, lors de la prochaine journée.
La seconde, c’est que le rugby féminin va devoir ramer pour faire fructifier l’engouement populaire né de ce Mondial en France ; disons plutôt à Marcoussis et porte de Saint-Cloud… En tribune VIP, au stade Jean-Bouin, se retrouvait dimanche le gratin d’Ovalie, vous l’avez constaté. Lors des deux mi-temps, le buffet était garni. Mais au retour des équipes sur le terrain, et bien après que le coup de sifflet lançant la deuxième période ait été donné, il était encore bien achalandé et la corbeille présidentielle aux deux tiers vide.
Les édiles et les élus, les beaux blazers et les têtes de gondoles préféraient grignoter, encore et encore, les petits fours, preuve, s’il en faut, que ces deux finales ne suscitaient pas l’enthousiasme débordant de l’élite ovale réunie pour l’occasion, invitée et exposée par les diffuseurs. Je ne vous donnerai pas les noms des coupables de ce relâchement, mais j’ai la liste. Ça m’a fait sourire, ensuite, de les lire et de les entendre souligner l’essor du rugby féminin.

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

Esperanto


Aux temps héroïques, les tous premiers, quand le ballon n’était pas complétement ovale et tout à fait en cuir, il y avait des Anglais, des Ecossais et même un Américain en équipe de France. Personne ne trouvait à y redire. Le rugby n’est pas une nationalité, c’est un état d’esprit. Un choix, en quelque sorte. Il se réfère au droit du sol plus qu’au droit du sang. C’est le temps qu’on passe pour une équipe qui rend son maillot si important, si l’on veut détourner la phrase de Saint-Exupéry.
Regardez les supporteurs toulonnais : ils se fichent pas mal, dans leur très grande majorité, que Bakkies Botha ne soit pas né à La Valette et que Matt Giteau n’ait pas vu le jour au Mourillon. Ces deux-là, comme les recrues varoises venues de tous les continents, jouent, gagnent et suent pour et dans le maillot rouge et noir orné d’un muguet. Et ça leur suffit. La reconnaissance s’obtient sur le terrain. Idem du côté de Toulouse, de Clermont, du Racing, d’Oyonnax, de Brive, du Stade Français, ou d’ailleurs.
Pour ajouter un peu de piment dans la sauce des règlements d’éligibilité, voilà donc que l’International Board s’est fendu d’une ouverture. Il était temps: les grosses nations de l’hémisphère sud ont verrouillé les accès à la sélection en intégrant des iliens du Pacifique dans leurs équipes nationales de jeunes ou à 7, handicapant d’autant Fidji, Samoa et Tonga. Désormais, tous pourront retrouver leurs racines en passant par le rugby à 7 et les qualifications pour les Jeux Olympiques de Rio 2016.
Certains internationaux bloqués à trois ou quatre sélections sous les maillots australiens et néo-zélandais vont revenir sur le devant de la scène. Ce n’est pas obligatoirement une bonne nouvelle pour le 7 de France qui va devoir affronter une concurrence plus relevée mais c’est sans aucun doute un coup de boost pour les nations du Pacifique. Sauf à ce que la FFR décide rapidement de constituer une liste des « étrangers », comme le Samoan de Montpellier, Alex Tulou, et l’Australien de Clermont, Brock James, susceptibles d’intégrer l’équipe nationale à 7 puis à XV.
Il faut s’attendre à ce que la définition d’étranger subisse, dans les deux saisons à venir et donc à moyen terme, un changement radical. L’année Camus est passée mais je suis persuadé qu’on trouvera bien un moyen d’associer le romancier de l’humanisme à cette avancée. Il n’y aura bientôt plus qu’une nationalité : celle du terrain. Et se faire à l’idée que l’origine d’un être humain n’aura pas plus d’importance que la couleur de ses yeux.
Représenter un maillot, c’est porter une certaine idée de l’équipe. Et réciproquement. Le sport ne fera donc très bientôt que suivre les pas d’autres secteurs d’activité, comme la recherche ou l’économie. On le sait et parfois on le regrette, les plus grands cerveaux français phosphorent aujourd’hui à l’étranger, comme cet économiste, le nouveau T.P. (Thomas Piketty, pas Tony Parker), reçu à la Maison-Blanche par les conseillers du président Obama et son Secrétaire au Trésor pour essayer de voir comment il est possible d’enrayer les inégalités. A noter que Michel Sapin, le ministre français des Finances, n’a pas encore trouvé le temps de lire une seule des 900 pages de cet ouvrage intitulé « le Capital au XXIe siècle », devenu référence.
Le talent n’a pas d’âge, pas de nationalité, pas de couleur. Les meilleurs, sortis d’ici ou venus d’ailleurs, se mêlent, se joignent, se lient pour une même cause, celle d’un club, d’une idée, d’un projet. Ils s’expriment dans un langage commun, l’espéranto du rugby, ce jeu de mains et de sacrifice de soi. En juin, on a vu le XV de France en manquer, de jeu de mains et d’esprit de sacrifice, perdre sans réagir, s’enfoncer sans lutter, se faire étriller sans hurler. Que la concurrence, une fois les frontières définitivement tombées, réveille les endormis ne peut être qu’un aiguillon salvateur. En sport comme dans la vie, rien n’est acquis, tout s’obtient. Camus écrivait que l’homme est un luttant. C’est ici capital.

Publié dans rugby | Laisser un commentaire

De l’autre côté

La saison, en ce qui concerne l’équipe de France, se termine sur une défaite, la troisième down under. Mais c’est surtout un sentiment d’échec qui l’emporte. Depuis 1990, le XV de France est habitué à s’incliner chez les Wallabies, mais ce qui dérange, cette fois-ci, c’est la forme prise par ses trois test-matches, leurs contenus, les leçons qu’il est possible, ou pas, d’en tirer.
Ils étaient presque tous là, les « élus » du prochain Mondial. Dans un an, les trente sélectionnés de PSA seront au travail, mis de côté trois mois à Marcoussis pour brûler leurs graisses, prendre du muscle et de la « caisse », ainsi qu’on appelle la capacité à jouer vite et longtemps. Ce qui dérange, quand on constate où ils en sont en juin 2014, c’est d’imaginer qu’ils partiront de zéro pour concurrencer les meilleures nations du monde.
Comme en 1999, comme en 2011, les Tricolores sont au plus bas. Pas de jeu, pas d’envie, pas de densité. Même pas de côtés fermés… Ils se font bousculer, déborder, transpercer. Ils font presque pitié à voir. Et comme en 1999, comme en 2011, ils iront peut-être en finale de la Coupe du monde. Personne n’aurait misé sur ces deux cuvées et, pourtant, elles furent en position de brandir le trophée Webb-Ellis, le seul qui manque au palmarès français.
Nous ne pouvons pas aimer pendant dix mois un Top 14 économique fort, populaire, médiatiquement alléchant, et d’un autre côté présenter une équipe de France à son meilleur niveau en février-mars, en juin et en novembre. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Thierry Dusautoir. Vous pouvez le croire. Lui, capitaine le plus appelé, il est entré dans l’histoire en prenant une claque. Il a battu toutes les nations du monde et ça ne doit pas le faire rire.
Ce sentiment d’échec, il provient de l’incapacité du XV de France à jouer simple et juste ; à éviter les fautes idiotes, à tenir prise d’entrée, à se battre pied à pied. En huit minutes, lors du troisième test, tout était dit : mauvais lancer et ballon dévié en touche, pénalité sur un ruck, but sur le poteau et essai australien en force, à un contre un. Pour toute satisfaction, une défaite 6-0 à Melbourne sans marquer le moindre point. De quoi retourner, comme Boris Vian, son téléviseur. De l’autre côté, c’est plus passionnant.
Avant de marcher en direction du soleil, de l’autre côté des Pyrénéés, et vous retrouver ici même début aout, me revient une anecdote qui pourrait être la solution à nos petits soucis du moment. Alors que son équipe était largement battue, à la mi-temps, auix citrons, le capitaine d’une sélection nationale demandait à ses coéquipiers : « Les gars, qu’est-ce que vous proposez pour qu’on arrête d’être ridicules ? » Une voix coupait le long silence et, d’un ton monocorde, lâchait : « Je ne vois qu’une solution : attraper le ballon au coup d’envoi et le dégonfler. »

Publié dans rugby | Laisser un commentaire

Show et ciment

Il n’y a pas plus difficile, dans ce sport de combat collectif qu’est le rugby, que de passer en une seconde d’une séquence défensive à une situation d’attaque. C’est ce que m’avouait Pierre Villepreux le 24 mai 1986 à l’issue de la finale entre le Stade Toulousain, dont il était un des entraîneurs, et le SU Agen, remportée 16-6 par les Rouge et Noir.
Défendre est relativement facile à mettre en place. Se parler, serrer les intervalles, monter en ligne sur l’épaule extérieure des attaquants, puis coulisser ; ne pas se fixer et laisser le partenaire à son intérieur plaquer l’attaquant qui s’engage. Plaquer bas et haut en même temps, à deux, pour arrêter le porteur de la balle tout en l’empêchant de la transmettre.
Un entraîneur médiocre – j’en sais quelque chose – connaît tout cela. Les replacements s’effectuent sur un premier rideau, évitant que les soutiens au plaqueur se consomment en trop grand nombre dans les rucks. En ajoutant un poil de motivation individuelle, en jouant sur les ressorts psychologiques classiques («Nous sommes seuls au monde, les médias nous critiquents, personne ne nous aime, personne ne croit en nous»), il effectuera sans souci le job basique.
C’est exactement ce que le staff tricolore a réalisé avant le deuxième test, à Melbourne. En revanche, affiner une attaque est bien plus difficile. Soit les coaches choisissent un créateur-passeur de type Mermoz, soit ils alignent de puncheurs comme Bastareaud et Fofana. L’idéal consiste à mêler les deux au centre et on voit bien, à la lumière des choix récents, que l’articulation offensive tricolore grince.
Un essai par match contre les nations du Top 10 IRB : c’est ce qu’inscrivent les joueurs de PSA. Sous l’ère Lièvremont, le XV de France en plantait presque le double (1,7 par match, pour être exact). On ne peut pas imaginer une seule seconde, même si on sait que les ballons tombent trop souvent des mains françaises à l’entraînement, que la crème des internationaux ne sache pas effectuer de passe(s).
La seule explication trouvée ici et maintenant réside dans la structure des compositions d’équipe. Les bombes interchangeables du triangle arrière actuel, à savoir Huget, Dulin et Médard et Bonneval, ne sont pas douées pour redonner le ballon dans les espaces et dans le bon timing. Elles cassent les défenses et franchissent, mais ne sont pas capables de prolonger l’action au bénéfice de leurs partenaires.
Comme Bastareaud, Fofana, Fritz et – c’est plus surprenant – Fickou, ne sont pas eux aussi naturellement tournés vers la recherche d’intervalle à l’usage de leur coéquipiers, il ne reste plus qu’à compter sur la troisième-ligne. Mais Ouedraogo et Burban trop justes physiquement, Picamoles, Le Roux et Dusautoir occupés au combat, seuls Nyanga et Lauret assurent ce lien, vital, entre les lignes. Ca fait peu.
L’équipe de France souffre des mains. On l’a vu au début du premier test, et durant tout le deuxième. Pas certain que cela puisse s’améliorer en une semaine d’ici au coup d’envoi, à Sydney. Pas seulement faute de temps mais parce que cette équipe de France, solide et solidaire, est bâtie de ciment, pas de show.
Pierre Berbizier, devenu entraîneur du XV de France au début des années 90, ulcéré de voir les ballons tomber, avait convoqué ses joueurs pour une longue séance de «deux contre un» et de «trois contre deux» sous le regard incrédule des journalistes. Mesnel, Viars, Penaud et Sella de retour à l’école de rugby, l’avant-veille d’un match du Tournoi : humiliant ! Mais la France infligeait un cinglant 44-12 à son adversaire deux jours plus tard. Philippe Saint-André s’en souvient peut-être : il était de cette équipe fustigée puis éclatante dans la victoire, sur elle-même autant que sur l’Irlande.

Publié dans rugby | Laisser un commentaire

Sale attente

Dans le cas où le XV de France souhaiterait obtenir le succès après lequel il court en ce mois de juin, je suggère à la FFR d’organiser illico sur le chemin du retour une rencontre avec les îles Cook, solidement installées à la 46e place mondiale du classement IRB. Les îles Cook, c’est un peu la Jamaïque du rugby, et il n’y a pas de raison que ce qui fonctionne pour le moral des footballeurs ne marche pas avec les rugbymen.
Samedi dernier, à Brisbane, en encaissant sept essais déroulés à la main, les Tricolores du capitaine Mas, humiliés 50-23, peuvent être comparés à des Jamaïcains de l’ovale, avec huit buts dans leur filet. Eux, ce sont sept essais ! Il faut remonter à la déroute assumée en Nouvelle-Zélande par Bernard Laporte privé de ses meilleurs joueurs à cause des demi-finales de Top 14 en juin 2007 pour trouver trace (61-10) d’une addition plus épaisse.
Pour rester optimiste à force d’ironie, on peut voir dans la claque de Brisbane la volonté du staff tricolore de ne pas dévoiler sa stratégie, son système défensif hermétique et ses combinaisons huilées avant le seul rendez-vous qui vaille : la Coupe du monde 2015 ! Alex Willie, ancien troisième-ligne des All Blacks,devenu entraîneur dans les années 90, avouait qu’«il ne fallait rien montrer de son jeu avant les matches importants».
A l’époque, les équipes en visite dans l’hexagone affrontaient des sélections régionales, le Bataillon de Joinville et France B. Aujourd’hui, la multiplication des tests-matches (juin et novembre) entre deux Tournois des Six Nations démystifie les joutes internationales. Plus rien n’a de valeur, si ce n’est pour remplir les stades et les poches des trésoriers des fédérations.
En Australie, la pioche est mauvaise : l’équipe de France ne fait plus recette. A peine 33 000 spectateurs au pays du XIII pour assister à une mascarade, c’est même beaucoup… Pour éviter des tribunes vides à Sydney, il serait souhaitable de disputer le deuxième test au Concord Oval (ils n’étaient que 18 000, ce jour-là), qui vit la victoire du XV de France contre l’Australie en demi-finale du Mondial 1987, histoire d’y retrouver un peu d’épique, de se brûler à la flamme qui animait Blanco, Sella, Berbizier, Champ, Rodriguez, Dubroca, Garuet…. Lagisquet peut témoigner de cette époque.
Le Tournoi garde son éclat, bon an, mal an. Mais les regards des entraîneurs, désireux de réussir leur quadriennat, sont tournés vers une place en finale d’un Mondial. C’est valable aussi pour les joueurs. Samedi, à Brisbane, mis à part les neuf premières minutes et les sept dernières de ce premier test, soit un gros quart d’heure, je n’ai pas vu de Tricolores concernés, engagés, motivés, prêts à laisser leur carcasse sur le terrain.
A l’exception de Papé, Szarzewski, Kayser, Claassen et Trinh-Duc, ils sont pourtant tous en Australie, les «protégés» de la convention. C’est sur eux que compte le staff tricolore pour décrocher le trophée Webb-Ellis, l’année prochaine. Mais ce ne sont pas avec des passes aveugles ou mal ajustées, des pénalités concédées en mêlée, des montées défensives de kamikazes et des plaquages de minimes que ce XV de France parviendra à offrir et à s’offrir, enfin, ce que nous attendons tous depuis 1987.
Depuis bientôt trente ans que j’écris sur le XV de France pour L’Equipe, j’ai appris au moins une chose : qu’il ne faut jamais croire ce que disent les déroutes, souvent trop grosses pour être lisibles. En 1999, trois mois avant le coup d’envoi du Mondial, les coéquipiers d’Ibanez étaient étrillés par les All Blacks à Wellington avant de les détruire à Twickenham et se hisser en finale. En 2011, j’ai appris à mes dépens qu’il ne fallait jamais donner pour morte une équipe de France brûlée de l’intérieur.
Séparée de son entraîneur, isolée à force d’être médiocre, balbutiant durant trois ans un jeu qui n’était pas fait pour elle, moche face au Japon et au Canada pour finir par être humiliée par les Tonga lors de l’édition 2011, elle se retrouva en finale et fit douter les All Blacks chez eux. Elle fit taire de peur l’Eden Park, et toute la Nouvelle-Zélande serra les fesses. Si une équipe de France méritait de remporter la finale de Coupe du monde, et surtout pas mourir à 7-8, privée de justice arbitrale, c’est bien celle-là.
Coachée par Saint-André depuis 2012 et vilipendée comme la précédente, elle donne aujourd’hui l’impression de ne pas avoir de moelle, d’âme, de caractère. Elle semble se traîner d’une Coupe du monde à l’autre, attendant ce dernier rendez-vous pour se réveiller. Afin de passer l’été sans orage, il ne lui reste plus qu’une option : se racheter à Brisbane. L’emporter serait un authentique exploit. En effet, depuis que le rugby est pro, la France, battue lors d’un premier test de juin (1997, 2002, 2007, 2008, 2013) en Australasie, n’a jamais été capable d’empocher le deuxième.

Publié dans rugby | Laisser un commentaire