D’un stade l’autre

L’attente est anxiogène, tous les transis vous le confirmeront. A force de regarder en haut le cou tendu, ils oublient de sentir ce qui se passe à côté d’eux. La quête d’idéal les fige, les voilà tétanisés. Dans des contextes différents mais dans le même registre, l’équipe de France – dont on attend des performances flamboyantes, et le Racing-Métro – qui a juste besoin de victoires, mêmes moches, traversent cette passe que l’on dit mauvaise.
A Marcoussis, Philippe Saint-André retrouve régulièrement Yannick Bru et Patrice Lagisquet pour disséquer, analyser, comparer. Mais ça ne suffit pas. L’équipe de France, usinée par des outils électroniques, n’a pas trouvé forme, même avec deux perfectionnistes penchés sur elle, travaillant le geste juste au millimètre près. Tout est corseté par l’envie de bien faire, cette attente inhibitrice.
Au Plessis-Robinson, dès 7h45, Lolo et Toto sont au boulot. Le logiciel vidéo chauffe davantage que la machine à expresso, mais ça ne fait pas avancer le métro. Comme à Marcoussis, un staff champion et un alignement d’internationaux ; le confort moderne, l’outillage dernier cri, le souci d’excellence, les plans de jeu sophistiqués. Un standing à tenir, des objectifs à atteindre. De l’ambition. L’attente grande. Un titre, un stade, de quoi nourrir le projet.
Mais ça coince. Une année 2013 calamiteuse au regard des résultats du XV de France ; un Top 14 et une H Cup pathétiques côté RM92. Ce n’est pas faute de bosser, de phosphorer. Qu’est-ce qui fait, en dehors de la qualité de l’opposition, que la somme de travail et l’investissement fourni débouchent sur un constat désespérant ? Travers, Labit, Lagisquet, Bru et Saint-André passent les fêtes de fin d’année à plancher sur le sujet. On leur souhaite une réponse au pied du sapin.
PSA, contrairement à ses prédécesseurs, n’a jamais jeté la pierre aux joueurs. Parfois, il aurait pu. Il a préféré prendre sur lui les critiques, épargnant ses adjoints. Il se plaint néanmoins du système, du calendrier, des cadences, des courts rassemblements, rejoignant Laporte et Lièvremont. Labit et Travers, eux, ont utilisé le ressort de la crucifixion publique. Sans succès. Davantage qu’une justification l’incompréhension domine.
De Nice à Calais, des milliers d’internautes proposent, plus ou moins gracieusement, leurs bonnes compositions : untel à l’arrière, cézigue à l’aile, celui-là en deuxième-ligne et l’autre à la mêlée. C’était déjà comme ça à l’époque de Leroux, puis de Basquet. La France dispose d’un vaste comité de sélection. Plus les défaites s’additionnent plus il se réunit sur l’azerty. Vu de l’extérieur, il ressemble à un rocking-chair : ça balance d’avant en arrière, mais rien n’avance. Le moteur est ailleurs.
Où se fait la différence entre une équipe et quinze joueurs ? Une équipe ne peut se mettre en place que lorsque chacun, à son poste, prend au moins une fois dans la partie l’avantage sur son vis-à-vis. Il suffit d’un joueur cassant la ligne pour que les autres s’agrégent. Deux critères marquants – plaquage offensif et capacité à faire jouer après soi – prévalent plus que tous les autres au moment de la sélection. Une équipe est mue par la vitesse additionnée des joueurs qui la composent, vitesse de réflexion, d’intervention et de réalisation. Merci à Alain Hyardet, Bob Dwyer et Pierre Berbizier.
Entre toutes, j’ai bien aimé la piste qui considère qu’un joueur, aussi bon soit-il, n’est rien sans un partenaire à ses côtés, ce qui dépasse le rugby pour ressembler à la vie. Co-équipier : celui qui joue avec toi. Interrogé, Eric Blondeau – c’est lui dont il s’agit – évoque les « 110 % ». Obtenir seul ce dépassement ? Plutôt à deux. Et c’est subtilement ce dixième fourni par un coéquipier qui sert de socle à l’envie collective.
L’envie de se porter à hauteur, d’épauler, d’anticiper, ne se trouve pas dans un logiciel informatique, ni sur un paper-board. Elle lie l’idéal de jeu à l’idéal de vie. Elle ne se commande pas, même au Père Noël. Par elle existe une stratégie, conçue par des cerveaux ovales. Pour cela s’ouvrir, ne plus tordre son cou à force de regarder les attentes placées trop haut, remiser pour un temps l’idéal de perfection au profit de l’altérité, porteur, et ce n’est pas un paradoxe, d’identité.
Restons liés. Joyeuses fêtes.

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Top pas top


Depuis dimanche soir et l’addition des défaites françaises (Toulouse, Racing-Métro, Montpellier et Perpignan) à l’occasion de la troisième journée de Coupe d’Europe, la question revient régulièrement dans la conversation, qu’elle soit enclenchée avec un spécialiste, un béotien ou un spectateur intermittent. Tout le monde s’interroge, à juste titre.
Cette question, qui ressort du fiasco français le week-end dernier, est multiple, et ses angles d’attaque plus ou moins ouverts : les clubs français ne sont-ils pas cuits par le Top 14 ? N’en font-ils pas trop en Championnat ? Arrivent-ils en H Cup avec l’envie de décompresser ? L’objectif des «grosses écuries» n’est-il pas prioritairement la quête du Bouclier de Brennus ?
Effectivement, il y a de quoi être surpris à la lecture, sèche, des résultats. Plus particulièrement par la défaite de Toulouse face au Connacht et celle du Racing-Métro devant les Harlequins. Le score, serré à Ernest-Wallon et ample à la Beaujoire, ne précise rien si ce n’est l’échec. Il génère de la frustration chez les uns, de l’inquiétude chez les autres. Il témoigne.
Il témoigne d’une suffisance tactique dans les rangs toulousains et d’une insuffisance mentale chez les Racingmen. Comme s’il suffisait de se faire des passes pour franchir, comme s’il suffisait d’aligner une sélection d’internationaux pour construire une équipe. A l’évidence, le Stade Toulousain s’est vu beau – ce qu’il est parfois – tandis que le Racing s’est cru arrivé, ce qui est exact : sauf qu’il est arrivé au terminus des prétentions.
Top 14 et H Cup ne sont pas techniquement, tactiquement et physiquement compatibles, cet hiver : Montpellier et Perpignan se sont fait cueillir à froid comme des cadets, Clermont a dû attendre une heure avant de trouver la bonne carburation. Toulon a bataillé pied à pied, la performance de Castres a été pitoyable, les Champions de France passant d’un rien à côté de l’humiliation d’une défaite dans les dernières secondes.
De la fumée est sortie des séances de debrief et on espère, à suivre, qu’un peu de lumière jaillira des contenus d’entraînement. Après un XV de France en panne de lucidité en novembre (la main de Chouly et le pied de Parra ont coûté cher), Toulouse, le Racing-Métro et Castres cherchent de quoi enflammer leur jeu en décembre. La rupture de niveau est flagrante, presque gênante ; cette saison, le passage d’un championnat domestique à une coupe d’Europe, certes préparé, n’a pas été mesuré.
Reste maintenant à espérer que le fiasco du week-end dernier augure d’un rebond maîtrisé. Castres, Toulouse, Perpignan et le Racing-Métro se doivent d’abord à eux-mêmes une revanche. Elle est attendue. Clermont, fidèle à ses convictions, Montpellier, auteur d’un match spectaculaire face à Leicester et Toulon vainqueur d’un combat contre Exeter, peuvent sans difficulté élever d’un tout petit cran leur niveau de performance. De quoi se dire alors que le rugby de France reste en course.
Dans le cas contraire, il y aura de quoi s’inquiéter, vraiment, et regretter – mais nous n’en sommes pas encore là – que le Top 14, ses millions d’euros investis, ses querelles d’égo, ses stars de papier et ses revendications télé, phagocyte ce qu’on pourrait appeler – je n’ai pas trouvé mieux – un élan vital.

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Une heure


Le rugby contemporain a ceci de bien fait c’est qu’il laisse mûrir les actions décisives. Naguère, à peine l’essai inscrit et la vague des attaquants retirée jusque dans son camp, il n’y avait que le temps octroyé par l’arbitre à l’ouvreur ou à l’arrière au moment de tenter la transformation – sans tee, sans voiturette et sans préposé à la pause-boisson – pour nous permettre de reprendre notre souffle.
Aujourd’hui, vous avez tout loisir de vous soulager, tranquillement, que l’essai n’est toujours pas validé par l’arbitre. Ça peut durer longtemps, un visionnage vidéo. Surtout avec onze caméras autour du stade. Ça laisse aussi le temps de savourer l’essai, d’en apprécier tous les angles, de vous apercevoir qu’il n’est pas valable ou qu’il est parfaitement justifié de l’accorder sans l’aide d’aucun recours.
J’ai connu l’ère de l’essai instantané, celui qu’on voit venir en cinq secondes, parfois moins. Un essai à trois passes, souvent à deux, dans le côté fermé. L’ailier se baisse, aplatit, laisse la balle immobile dans l’en-but, décrit un demi-cercle et s’en retourne, félicité discrètement par ses coéquipiers. L’essai fulgurance, que seul un œil averti pouvait apprécier en anticipant l’action, celui de Philippe Bernat-Salles face à l’Angleterre, Tournoi 1998, le premier des essais plantés au Stade de France, sur une passe millimétrée signée Benetton, un autre Philippe.
Il y avait aussi l’essai jubilatoire, que l’on sentait arriver de loin, qui traversait le terrain, mille passes ou au contraire une percée majuscule. Une vague venue de l’horizon, belle comme une fresque. Elle s’imprimait sur nos rétines. Je fais souvent défiler l’essai de 1991, Twickenham, parti de Pierre Berbizier pour arriver jusqu’à Philippe Saint-André. Ce jour de crachin, j’étais assis aux côté d’Olivier Margot, tout en haut du Temple, l’ancien, celui en tôle de hangar peinte de vert foncé.
Samedi, j’en ai vu quatre, d’essais. Deux accordés, deux refusés. Celui de Pietersen, no problem. Mais les autres, vous pourriez les ausculter dans tous les sens, dessus, dessous, derrière, de côté – c’est d’ailleurs ce que l’arbitre vidéo a fait -, bien malin qui saurait où va pencher la balance. L’Ecossais M. Ramage, très tatillon quand il officiait sur le terrain, a évité trente points d’écart au XV de France, nous l’en remercions, mais toutes autres décisions que les siennes pouvaient se justifier.
Tout ça pour dire que je ne reviens pas sur le score, 19-10 en faveur des Springboks. Il aurait tout aussi bien pu être de 33-3 sans qu’un scandale n’éclate aux abords du Stade de France. Juste signaler qu’un arbitre peut décider du sort d’un match, mais que c’est l’arbitre vidéo qui choisit le score. Nous sommes là, impuissants, l’arbitre de champ y compris, à attendre ses décisions. Il porte souvent des lunettes, M. Vidéo, et travaille dans un cagibi.
J’allais oublier… L’avantage, c’est qu’on peut revoir dix fois l’essai, enfin du moins l’action. C’est toujours ça de gagné. L’inconvénient, c’est que chaque période, au lieu de durer quarante minutes, se prolonge d’une heure. Quand le match est plié assez tôt dans la partie, comme ce fut le cas face aux Springboks, ça devient long. J’ai vu, samedi soir, le public du Stade de France quitter les travées au coup de sifflet final sans saluer l’équipe de France dans son tour d’adieu. Y a-t-il un rapport de cause à effet ?

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Plus dur


Battre les Sud-Africains a toujours été l’apanage des grandes, des très grandes équipes de France dans l’histoire du rugby. Un défi, un challenge, écrit-on aujourd’hui. Je n’étais même pas en âge d’armer ma première passe que mon père lisait un combat, un très grand combat, celui de Denis Lalanne. Ça se passait en Afrique du sud. En 1958. J’étais alors juste une étincelle dans ses yeux.
Pendant quatre-vingt saisons, les Sud-Africains ont été champions du monde. Bien avant l’heure du trophée Web Ellis. Eux et pas les All Blacks, même si ça peut paraitre étonnant à travers notre grille de lecture actuelle. Dans l’imaginaire et dans les années 50, ils étaient «les Rugbymen du Diable». Durs au mal. Comme si vous aviez à faire tomber un bloc de marbre. Ils étaient athlétiques avant l’heure de la salle de musculation, jouaient dans les défenses, privilégiaient le gain de la ligne d’avantage, multiplaient les temps de jeu et les regroupements. Le rugby moderne, quoi…
Seuls quatre capitaines français sont parvenus à vaincre les Springboks chez eux : Lucien Mias en 1958 et Olivier Roumat en 1993 lors d’une série de tests et, sur un test unique, Michel Crauste en 1964 et Fabien Pelous en 2006. Quatre exploits majuscules (merci les blogueurs), quatre aventures humaines à jamais gravées. Pour l’emporter, des hommes de fer : Roques, Marquesuzaa, Barthe, Vigier en 1958 ; André Herrero, Walter Spanghero, Dauga, Gruarin en 1964 ; Benetton, Cécillon, Merle, Armary en 1993; De Villiers, Marconnet, Betsen, Harinordoquy en 2006.
Plus près de nous, le test de Toulouse nous parle : pour l’emporter face aux Springboks – ceux-là étaient auréolés d’un titre de champions du monde – il faut leur briser les reins en mêlée : Nicolas Mas le sait. Les piétiner sous les groupés-pénétrants : Louis Picamoles et Dimitri Szarzewski, qui était aussi du succès de 2006, n’ont pas oublié. Mettre tous les points au pied : Morgan Parra va bien astiquer sa chaussure gauche. Défendre en fermant ses plaquages : Maxime Médard est de ceux-là.
C’est ainsi que Thierry Dusautoir, déjà de la victoire au Cap en 2006, pourra devenir, dans l’histoire bleue, le premier capitaine à doubler les exploits face aux Boks. Après 2009 faire tomber, samedi, les Springboks à Saint-Denis, sera l’un des succès les plus marquants du quinze de France. Car cette phalange sud-africaine s’avance comme celle de 1952, sûre d’elle, implaquable, dévastant tout sur son passage. On ne lui trouve pas de faille, pas de point faible.
Lancés, ces Springboks enchaînent sans temps morts les percussions et obligent les défenseurs à s’y mettre à deux, voire à trois, pour les arrêter à chaque fois. Puis ils laissent l’adversaire se découvrir pour mieux le transpercer en contre, sur quatre-vingt mètres. Personnellement, en ce mois de novembre, ils m’impressionnent davantage que les All Blacks. Ils forment bloc fait d’un alliage de vitesse et de force.
Battre cette Afrique du sud, victorieuse sans ciller des Gallois et des Ecossais, serait le succès fondateur d’une équipe de France qui recevra deux mois et demi plus tard l’Angleterre au Stade de France dans le cadre du Tournoi des Six Nations 2014. Les vainqueurs, samedi soir, marqueraient aussi des points précieux dans l’optique du Mondial 2015. Et on ne parle pas de l’effet miroir qui ne manquera pas d’éclairer cette rencontre à la lumière du résultat de mardi, celui des Bleus, les autres, ceux du ballon rond.

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Vite, un havre


Il n’y a pas mieux que Le Havre. Pas mieux pour retrouver un peu de paix. Car enfin quoi, cette nouvelle défaite, samedi, 26-19, la quatrième en quatre tests cette année face aux All Blacks, a déclenché un flot d’incompréhensions. Encore fallait-il, pour se faire une idée plus précise du lien qui unit un public et son équipe, se trouver au Stade de France et non devant sa télé pour voir les travées se lever comme un seul homme, prêtes à descendre sur la pelouse pour s’agréger et pousser la dernière mêlée avec les Tricolores.
Depuis le Tournoi 1998 que les Tricolores se produisent à Saint-Denis, jamais je n’ai vu les spectateurs hurler « Pou-ssez ! Pou-ssez ! » D’habitude, quand le match a lieu l’après-midi, ils assurent leur digestion, et le soir, semblent ankylosés de froid. Pas de chant, pas de frisson, des olas pour passer le temps. Rien de cela samedi dernier: j’ai vécu un quart d’heure, le dernier, digne du meilleur, c’est-à-dire l’Arms Park…
Reste que cette défaite, pour méritoire qu’elle soit, pousse sur un terreau d’échecs, sept en neuf matches. Le pire bilan comptable enregistré depuis l’ère pro. Il faut remonter aux années 20 pour trouver trace d’une série aussi faible. De positif, il n’y a que des satisfactions individuelles, surtout celle concernant le troisième-ligne aile du Racing-Métro, Wencelas Lauret, au niveau d’un McCaw, les discussions avec l’arbitre en moins.
Pour ce qu’il m’en a dit, Philippe Saint-André cherche toujours les trente-cinq pièces de son puzzle. Trente-cinq joueurs susceptibles de disputer la Coupe du monde 2015. Il a quelques certitudes mais pas encore la vision d’ensemble du tableau terminé, ni même du modèle à suivre. Des noms s’additionnent sur ses tablettes, match après match. Son seul objectif, c’est le titre mondial, pas une série victorieuse de tests face aux All Blacks ou un Grand Chelem dans le Tournoi. Car ça, le XV de France l’a déjà sur sa carte de visite.
Samedi, il prendra la direction du Havre, sa porte Océane et son stade du même nom, hommage aux pionniers qui s’initièrent aux rebonds de la balle ovale importée d’Angleterre, en face, de l’autre côté de la Manche. Pour y aligner une équipe expérimentale ; l’occasion pour certains de marquer en points dans l’optique 2015. Sans compter qu’un France-Tonga au Havre est assez décalé pour lui assurer un petit répit médiatique avant le choc face aux Boks, monstrueux, qui viennent d’envoyer trois Gallois à l’infirmerie.
Dans le même temps, comme lui, nous regarderons Angleterre – Nouvelle-Zélande, la revanche du 38-21 de décembre 2012, seule défaite enregistrée par les All Blacks depuis deux ans. Un succès kiwi donnerait, beaucoup l’espèrent, un relief encourageant à la défaite des Tricolores, samedi dernier. En ces temps de crise, on se rassure comme on peut.

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Glissement


Pour un peu, le match très amical qui opposera, tranquillement et devant un public de toute façon conquis à l’avance, le Racing-Métro 92 et le Stade Toulousain à Hong Kong, aurait presque plus d’importance et d’impact que le test-match entre la France et les All Blacks, samedi, au Stade de France. C’est dire si les clubs du Top 14 tiennent le haut du pavé, même quand ils jouent mal, et s’il apparait, mais ce n’est peut-être que mon impression, que le Quinze de France ne suscite pas, ou plus, le même engouement qu’avant.
La faute à qui ? A quoi ? Il faut dire que la litanie de défaites enregistrée par les Bleus ces mois derniers a de quoi lasser le chaland. Une équipe de France, il faut qu’elle gagne de temps en temps pour assurer l’élan. Trois fois battue en Nouvelle-Zélande, voilà qu’elle affronte ce même adversaire, des All Blacks qui apparaissent intouchables. Quatre louches de caviar, donc. Il faut croire que ça commence à dégoûter. Rien ne frétille, rien de bruisse, pas d’excitation à l’approche de l’évènement, si ce n’est la certitude d’en prendre trente, au tarif minimum.
Pourtant, jouer les All Blacks, quoi de mieux… On me dit qu’il n’y a plus un seul billet à vendre pour ce premier test. Les heureux seront donc au Stade de France. Mais ailleurs ? Je n’entends pas monter la passion, tout semble bien calme sur le front de ce test-match qui, en d’autres temps, aurait été «vendu» deux semaines avant le coup d’envoi. Du match des All Blacks au Japon, samedi dernier, rien à dire, ou si peu. Comme si nous étions habitués, maintenant, à voir évoluer McCaw et Carter, deux monuments du rugby, deux génies de ce jeu.
Il n’y en a que pour les clubs, chacun d’entre vous supportant le sien et basta. Le rugby devant sa porte, en somme. L’idée que l’on se fait d’un rugby de France, d’une équipe de France, d’un plus grand dénominateur commun en bleu, blanc et rouge, tout cela s’efface derrière le Championnat domestique qui a valeur d’étalon. Comme si tout le monde se foutait bien de ce qui va arriver samedi, ou plutôt comme si chacun craignait la rouste majuscule, une de plus.
Je vais espérer que les Tricolores (les Bleus, c’est pour le foot) se jettent comme des morts de faim sur les ballons au sol, qu’ils assènent des plaquages de wisigoths, découpent menu du all black, poussent comme des sourds en mêlée, montent des chandelles pour mettre le feu au point de chute ; qu’ils disputent ce match comme s’il s’agissait d’une phase finale de Coupe du monde. Comme en 1999, comme en 2007, comme en 2011. Qu’ils combattent. Collectivement. Et nous éclairent avec deux traits de génie, pas davantage. Ca suffira.
Après, franchement, le score, je m’en contrefiche. C’est le contenu du match que je vais apprécier. Pour savoir ce que ces Tricolores-là ont dans le ventre. Ils savent jouer, personne ne va leur apprendre le rugby. Mais sont-ils capables, individuellement, de se sortir les tripes ? Sont-ils capables, ensemble, d’agir en équipe ? Sont-ils capables de faire aimer, de nouveau, une équipe de France ? De faire vibrer une dizaine de millions de personnes devant l’écran ?
L’enjeu de ce match, France – All Blacks, qui sonne comme un titre d’opéra, va au-delà d’un succès ou d’une défaite. Il s’agit de priorité. Priorité à l’équipe de France ou au Top 14 ? Dans un contexte où la convention FFR-LNR n’est toujours pas signée, où les Coupes d’Europe avancent (ou reculent) sans visibilité, où le Top 14 s’exporte en Asie et les Tricolores présentent un blason terni, ce test en est un. Un vrai. Soit un sens commun se dégagera, soit l’intérêt particulier l’emportera… Pas certain que les joueurs mesurent ce qu’ils vont affronter, samedi : l’opprobre ou l’appartenance.

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Par chaos


Que trente des meilleurs joueurs français soient convoqués par le staff tricolore pendant trois jours à Marcoussis pour préparer, cette semaine, les trois tests à venir du Quinze de France en novembre face à la Nouvelle-Zélande, les Tonga et l’Afrique du sud, et voilà que les entraîneurs du Championnat hurlent au scandale. Comme s’il n’y avait que le Top 14 qui vaille.
Que le comité directeur de la Ligue Nationale de Rugby décide de relever le nombre de JIFF sur la feuille de match, la saison prochaine, vous savez ce quota qui indique qu’il faut quand même que des joueurs issus de la formation française disputent le Championnat de leur pays, et voilà que les présidents du Top 14 décident de se désolidariser de l’homme qu’ils ont élu, à savoir Paul Goze. Comme s’il n’y avait que le recrutement à l’étranger qui vaille.
Que l’ERC fasse un pas en avant et tende la main aux frondeurs (la LNR et le Premiership) pour que vive la Coupe d’Europe dans l’intérêt de tous en acceptant la qualification au mérite sportif et une meilleure redistribution des bénéfices, et voilà que les présidents des deux Ligues, l’Anglaise et la Française, continuent de vouloir tout diriger au mépris du règlement de l’IRB. Comme s’il n’y avait que le pognon et le pouvoir qui vaillent.
Qu’un joueur de rugby international de haute volée, disons Mike Phillips, un mec qui a battu l’Australie chez elle dans une série de test-matches – ce que la France n’est jamais parvenue à réaliser soit dit en passant – soit viré de son club, l’Aviron, parce qu’il est arrivé éméché à une séance vidéo sans grand intérêt avant une rencontre de Challenge européen dont il aurait dû être exempté, quand toute une ville, Bayonne, est aussi connue pour ses fêtes et ses libations, a de quoi interpeller. Comme si un joueur de rugby ne pouvait plus prendre une bonne murge.
Un chaos secoue le rugby français, celui de la FFR et celui de la LNR. Les dirigeants, dont on attend qu’ils tracent un cap et s’y tiennent, ne fonctionnent qu’en regardant là où se trouve leur propre intérêt, et si celui-ci oscille et varie, alors il en sera de même pour leurs engagements. Coupe d’Europe, JIFF, convention LNR-FFR, rien n’est signé… Dans cette vilaine cuisine, seuls les joueurs semblent garder leur rang. Même s’ils ne jouent pas toujours très bien, ni avec beaucoup d’ardeur.
Quelqu’un a-t-il une bonne nouvelle à nous faire partager ?

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Du même club


Je n’ai jamais trouvé mieux qu’un club-house pour vivre le rugby. Le terrain c’est bien mais on passe trop de temps à regarder la vidéo, ces derniers temps. Surtout pour découvrir qu’on connait le scenario, qu’il est sans surprise et que l’essai aurait dû être accordé immédiatement sans passer par la case magnéto. Cette innovation, si j’en crois certains joueurs qui s’en sont ouvert «off the record» est comme l’écran : elle tombe souvent à plat.
Au moins là on peut refaire le match avec de meilleures images, c’est-à-dire celles que l’on garde présentes à l’esprit et dont la qualité, c’est notable, s’améliore au fil du temps, parallèle avec le bon vin, ce qui nous permet d’enchaîner avec le fait que dans un club-house qui se respecte, il y a toujours un pilier de bar qui a joué avec les légendes du cru, – toujours bon, le cru – et même avec votre père.
Dans un club-house nous sommes entre nous, un peu comme ici sur ce blog qui ne ferme jamais. Pas besoin de développer le propos, de l’illustrer, d’y mettre des sous-titres, nous nous comprenons à demi-mots, partageons les mêmes définitions de ce que signifient «valeur», «marron», «trou» et «Pink Floyd», surtout avec ceux qui ne savent pas que Nick Mason a disputé plusieurs fois les 24 heures du Mans.
Alors qu’elle ne fut pas ma joie de recevoir, en avant-première,l’ouvrage de nos amis bloggeurs Antoine Aymond, Frédéric Humbert et Nemer Habib intitulé «Rugby Clubs de France», florilège d’anecdotes et de photos inédites, érudition discrète et parti pris assumé. Un gros bouquin large comme un ballon, épais comme une baffe de Palmié, tendre comme un souvenir d’enfance.
Dans sa préface, coup d’envoi majuscule, un certain Pierre Albaladejo parle des valeurs éthiques et éducatives de ce jeu, et chacune de ses lignes, comme une passe, vaut pour la justesse, la pertinence et la précision. Il y parle de lui comme jamais je ne l’ai lu et ça n’a pas l’air d’être à la première personne tant le propos touche à l’universel. C’est notre esprit qu’il ouvre, Bala, et pas seulement cet ouvrage.
Quarante-quatre clubs racontés comme si nous étions au club-house, maillots d’époque sous verre, cartes postales pour timbrés, trophées sur l’étagère et bière à volonté. Et puis il y a les équipes-types. Là, je me suis pris au jeu. J’ai pourtant l’habitude d’en composer, le lundi, sur L’Equipe.fr… Je sais ce qu’il faut de mauvaise foi et de subjectivité pour irriter le chaland. Et bien j’ai craqué à mon tour, j’ai cherché Pierre Villepreux et André Brouat, Jonny Wilkinson et Jérôme Bianchi. Mais j’ai trouvé Jacky Adole, Philippe Guillard et Hervé Tilhac.
Je vais lui offrir ce livre, d’ailleurs, à Jacky Adole. Nous avons rendez-vous la semaine prochaine à Limeuil, là où la Vézère et la Dordogne se rejoignent, pour parler – ça va durer longtemps – rugby, champignons et littérature. Aussi de Périgueux, de Carcassonne et de La Rochelle, trois clubs chers à son cœur ovale. Parce qu’il y a toujours un écusson, la couleur d’un maillot ou une composition d’équipe pour nous ramener au jeu de notre enfance. Moi, j’avais douze ans, c’est en jaune et noir, à Marcel-Deflandre, sous la pluie face à Toulon à la fin de l’automne 1971. Et vous ?

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De l’appétit


Vu le stress accumulé par les locataires du Top 14 depuis la mi-août, la première journée européenne risque d’être un peu molle du genou. Neuf matches de Championnat à flux tendu usent les organismes. L’occasion de faire tourner l’effectif. Et se souvenir que joueurs et entraîneurs suent depuis le début juillet. En ProD2, c’est break tous les cinq matches mais pour l’élite du rugby français, les travaux d’Hercule ne vont pas par paquet de neuf ni de douze, ou alors il faut compter en mois. Rugby non-stop.
Du coup, ça nivelle. Treize clubs serrés en onze points après neuf journées, du jamais vu en Top 14. Impossible de détacher un club du haut. Les tendances sont légères. Toulon, Toulouse et Montpellier avancent au coude à coude. Derrière ce trio un groupe compact. Unique décrochage au cul de ce pack, Oyonnax, douzième, avec trois points de retard sur Castres pour une histoire de bonus, les deux clubs comptant le même nombre de victoires, quatre.
Une seule tendance lourde se dessine. Pour l’apercevoir, il est nécessaire de regarder penché, quand l’amer se retire à marée basque. Bayonne et Biarritz tombent en position de relégables. Trois succès pour l’Aviron, seulement un pour l’Olympique. A eux deux, juste de quoi éviter la misère, et encore… Les cousins de la Côte ont de la chance dans leur malheur : heureusement qu’il existe le bonus défensif, sinon ils seraient enterrés encore plus profond.
On disait plus haut que le CO comptait quatre victoires. Bien maigre pour un champion de France en titre. J’aurais plutôt tendance à écrire cinq défaites. Comme Bordeaux et Oyonnax. Mais ces deux clubs-là n’ont pas de standing à défendre ou à honorer, selon. Il faut croire que le bouclier de Brennus est lourd quand il s’agit de le porter à bout de bras. Clermont en son temps, sacré, a mis deux saisons avant de retrouver de l’élan. On le voit  bien, c’est humain, Castres vivote sur son acquis. Ce qui met en lumière, s’il en était besoin, la performance du Stade Toulousain, carnassier, sur trois décennies : trois titres entre 1985 et 1989, six entre 1994 et 2001, puis encore trois autres entre 2008 et 2012.
La table des prétendants aux six premières places qualificatives pour la phase finale et l’Europe – encore que de ce côté-là l’avenir soit très flou – est bien garnie. Du coup, c’est en cuisine qu’il faut aller chercher les révélations. Christophe Urios, coach en chef d’Oyonnax, a gagné sa première étoile. Tout comme Philippe Carbonneau, à Brive. Deux personnages hors normes qui ne mâchent pas leurs mots pour concocter un rugby à la fois subtil, tactiquement, et roboratif à l’impact, leurs adversaires peuvent en témoigner.
P.S. : Dans un Championnat constellé d’étoiles du Sud, l’humilité paye. Les joueurs qui ont brillé jusqu’à présent étaient en début de saison dans l’anonymat. Aujourd’hui, à l’heure du bilan, on apprécie – pour tout ce que ça représente – qu’ils puissent composer l’appétissante équipe type des neuf premières journées : Bonneval (Paris) – Tian (Oyonnax), Combezou (Montpellier), Aguillon (Oyonnax), Garvey (Castres) – (o) Urdapilleta (Oyonnax), (m) Pélissié (Montpellier) – Y. Camara (Toulouse), Koyamaibole (Brive), Purll (Perpignan) – Flanquart (Paris), Le Devedec (Brive) – Edwards (Grenoble), Ribes (Brive), Chiocci (Toulon).

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C’est lancé

Jamais Coupe d’Europe n’aura été autant suivie. Forcément : ça risque d’être la dernière. La dernière sur ce format, avec les Anglais, j’entends. Parce que l’ERC va faire sans eux. Comme en 1995/1996. Si la H Cup, qui peinait à se faire une place au soleil entre le Premiership et le Top 14, avait voulu se payer un coup de pub, elle ne s’y serait pas mieux prise. On n’entend parler que d’elle. Et lundi, ce 23 septembre, il y avait foule dans le salon de France Télévisions au moment de présenter la dix-neuvième édition, et pas seulement pour l’excellent buffet qu’on y servait.
Que les clubs anglais veuillent davantage de pognon, ça les regarde et ils ne sont pas les seuls dans ce cas. Que les Anglais, dans l’Europe rugbystique comme dans l’Europe politique, économique, financière et sociale, ne pensent qu’à eux, ce n’est pas nouveau. Réflexe insulaire. Que les Anglais signent un contrat télé en cachette, dans leur coin (on vous en parlait ici même dès janvier) ne fait que confirmer leur état d’esprit : moi d’abord et les autres ensuite. Qu’ils décident, comme en 1995, 1999 et 2007, de quitter la H Cup, on connait le refrain. Et à la fin de la chanson, ils finissent toujours par revenir.
On ne change pas un Anglais. Mais, en revanche, à quoi joue Paul Goze ? Comment la LNR peut-elle accepter de se décrédibiliser ainsi en annonçant la création d’une compétition pirate ? «Inélégant», «hors de propos», mais aussi «ridicule», «incompréhensible», j’en passe des plus salés : que de reproches ai-je entendu, lundi, venant de joueurs et d’entraîneurs du Top 14 au sujet de l’annonce du projet d’une compétition pirate franco-anglaise… Sans compter que le timing, la veille de la présentation de l’actuelle H Cup, ne fait pas seulement grincer des dents, il en dit long sur l’esprit – pas très rugby – qui anime le patron du rugby pro français, acoquiné avec les Anglais.
RCC. Rugby Champions Club. Où est-ce que vous voyez écrit «Europe», vous ? Moi, nulle part. En fait, il ne s’agit pas d’une Coupe d’Europe bis mais d’une compétition entre clubs anglais et français qui ne va pas tarder à annoncer l’agrégat de provinces sud-africaines, elles aussi attirées par l’argent (qui viendra ainsi combler le trou qui s’élargit dans leurs caisses), et pourquoi pas d’équipes russes, canadiennes, américaines et argentines, deux sélections Pumas montées de toutes pièces dont on sait qu’elles vont prochainement intégrer le Super 15.
J’imagine que si la LNR a choisi la voie du putsch avec le risque de s’aliéner tout le monde, à commencer par l’organisateur, les diffuseurs et les institutions (FFR, IRB), c’est parce qu’elle est sûre de son fait. Pour autant je ne suis pas certain que les instances (Provale, Tech XV, etc…) aient été consultées, pas même tous les présidents de Top 14, et encore moins ceux de ProD2. Normalement, la LNR parle au nom du rugby pro. Il me semble, là, que l’on n’entend qu’une voix, conseillée par deux personnes qui se gardent bien de l’ouvrir : René Bouscatel, président du Stade Toulousain, et René Fontès, ex-président de Clermont.
En coulisses, avenue de Villiers, dans le 17e arrondissement de Paris, il se dit que la Ligue ne fera pas machine arrière. Tout est calé, la cargaison assurée, le cap tracé. Bref, la RCC est lancée. Rendez-vous fin octobre pour en savoir plus. Le 23 octobre, l’ERC se réunira autour du médiateur choisi par l’IRB pour faire avancer le dossier. Je suis persuadé que la LNR et le Premiership organiseront un raout un jour plus tôt pour nous faire partager leur projet. J’ai surtout le sentiment que ce dimanche 22 septembre, à midi, le rugby européen s’est ridiculisé. Les valeurs du terrain – solidarité, soutien, respect, lien – (ce qu’on appelle l’esprit rugby) existent toujours et permettent, fort heureusement, de faire la différence entre une équipe et quinze joueurs. Mais ont-elles encore cours chez ceux qui dirigent ce sport pro ?
Photo prise à Bath. Là d’où tout le bazar est parti, initié par son président, un milliardaire anglais dénommé Bruce Craig.

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