Visions d’une synthèse

Pour trouver quinze propositions, les douze membres de la cellule technique n’ont pas forcé le trait, même si présenter l’amélioration de la qualité des terrains comme une des clés de la réussite prochaine du XV de France pousse plutôt à sourire. Ainsi, si l’on en croit la circulaire, la professionnalisation des jardiniers du Top 14 serait une des solutions miracles pour permettre à l’équipe nationale de devenir, un jour prochain, championne du monde. Plus sérieusement la systématisation de pelouses hybrides pour favoriser le jeu durant l’hiver est en marche.
Quand nous avons reçu, comme nos confrères, le jeudi 7 avril, la «synthèse du rapport des mesures proposées par la cellule technique», j’ai cru que je m’étais trompé d’une semaine. «Elargir la feuille de match» ? A qui, à quoi ? Plus de jeunes joueurs ? Passer à dix remplaçants ? Et demain à quinze, soit deux équipes ? «Faire respecter les obligations légales des entraîneurs et des éducateurs» ? Il y aurait donc dans l’élite des entraîneurs sans diplômes officiels et pour autant rémunérés ? Sans parler d’ «harmoniser les arbitrages». Pourquoi donc un pluriel ? Il y aurait donc plusieurs arbitrages au sein d’une fédération pour un même règlement ? Et bien oui: nos arbitres ne sifflent pas de la même façon en Top 14, en Coupes d’Europe, en test-matches et en Coupe du monde. Autant dire nettoyer les écuries d’Augias.
Au chapitre des propositions déjà expérimentées, et sans aucun succès, on découvre la communication d’une liste de trente joueurs «élite» et de son pendant «développement». Soit soixante noms. Ce qu’avait fait Philippe Saint-André, avant de s’apercevoir qu’il s’agissait autant d’un fil à la patte que d’une mesure cosmétique. Quid des talents qui éclosent, des hommes en forme, des surprises, de révélations ? Quant au «contrat objectif partagé», et «personnalisé», il existe déjà entre le staff tricolore et les sélectionnés. Pourquoi donc le formaliser ?
«L’intersaison adaptée au niveau de sollicitation du joueur», compte tenu des vacances obligatoires à prendre et ajouté à la «mise à disposition étendue», ainsi qu’à la «période de régénération», aurait mérité un pavé dans l’amer, du type «contrat fédéral pour les internationaux sur la durée du Tournoi des Six Nations». Tout le monde tourne autour, les joueurs l’appellent de leurs vœux mais ne souhaitent pas le faire savoir, et pour en avoir discuté «off» avec plusieurs interviewés de cette cellule technique, je me demande bien pourquoi cette proposition n’a pas été retenue. Et bien parce que les présidents de Top 14 crient haro et se voient comme les grands perdants de ce nous rapport de force.
Alors pour calmer leur ire, il aurait été décidé de réévaluer la compensation financière aux clubs et surtout, adapter ce «salary cap» qui permet de recruter des stars mondiales, type Carter, Genia et Nonu, sans que leurs émoluments ne soient pris en compte dans l’enveloppe budgétaire. Ou alors que celle-ci soit augmentée en proportion du nombre d’internationaux happés par le XV de France. Voilà bien l’image du rugby français : favoriser les intérêts individuels plutôt que le bien commun. Cela dit, ce n’est pas propre au rugby. Mais on aimerait que la société s’inspire de notre sport plutôt que l’inverse, ce que je garde comme vœu pour la fin de l’année.
Dans le genre opaque, au thème «Jeu», j’ai apprécié la proposition «évolution des championnats professionnels.» Personne ne sait vraiment à quoi cela fait référence : réduction ou augmentation du nombre de clubs dans l’élite ? Match de barrage pour la descente/montée ? Ou pas. En revanche, dans le thème «Formation» les trois propositions «évolution du dispositif JIFF», «refonte de la compétition Espoir» et «optimisation du temps de jeu des jeunes joueurs» ouvrent quelques perspectives. Pas sûr que ce soit assez cependant pour protéger nos talents juniors. Mais c’est au moins un début.
J’aurais surtout aimé qu’on ajoute à cette synthèse étique la création d’une équipe nationale Espoirs pour les 20-23 ans, avec organisation de tournées, stages et suivi. C’est précisément à cet âge-là que les espoirs s’effacent, que certains disparaissent. On notera que ces propositions sont «respectueuses de la structuration existante du Rugby français et de son équilibre économique.»
J’engage – façon de parler, je n’ai pas de budget – chacun d’entre vous à livrer ici en commentaire une proposition. Pas deux, pas dix, pas treize, pas quinze. Non, juste une chacun. Celle qui vous semble la plus décisive pour «améliorer la performance du XV de France».  Je vous propose, à l’instar de la cellule technique, de réfléchir à trois thèmes : la gestion des joueurs internationaux ; la formation et le jeu. 
Lundi 18 avril, vos 17 propositions les plus marquantes seront publiées sur le site de L’Equipe.

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Passe à l’Autre

La tension, palpable, est à la hauteur des enjeux financiers et politiques nés des montées et descentes qui jalonnent la vie des clubs de Top 14 et ProD2 depuis que le rugby est pro. Eclat issu de cette pression exponentielle, on regrettera les insultes, injures, menaces et autres propos orduriers tenus par l’arrière d’Oyonnax, Sylvère Tian, dans un état second, samedi.
Pour ma part, ayant commis un article au sujet des six meilleurs joueurs d’Agen qu’il serait dommage de voir évoluer en division inférieure tant leur talent est grand, au point qu’ils pourraient intéresser certains clubs assurés de rester dans l’élite, j’ai eu droit à une diatribe de la part du président Tingaud, m’enjoignant Twitter – appréciez le comble – de rester à ma place. Saillies de moindres amplitudes que le coup de sang de Sylv-ire Tian.
Si on peut rire, ce fut mon cas, des conseils éditoriaux d’un président investisseur qui, comme beaucoup de ses collègues, fait du rugby professionnel une foire aux bestiaux, lesquels magnats recrutent leurs jokers sur fax et You Tube nonobstant le souci de faire tourner leurs centres de formation, l’explosion dans l’Ain, elle, exprime un trouble bien plus inquiétant.
D’après un de mes contacts, il semblerait que beaucoup – trop – d’entraîneurs des clubs d’élite soient au bord du burn-out. Voire même pour certains déjà dedans. Et ce depuis la saison dernière. Victimes de tension managériale, obligation de résultats, horaires à flux tendu, plan de succession et participation aux activités connexes, les coaches dégoupillent à la moindre erreur d’arbitrage, à la plus petite phrase ironique ou la moindre dérision dans un article. Voici maintenant que les joueurs prennent ce mauvais pli. La cote d’alerte est atteinte.
Dans ce contexte tendu, la journée de samedi 2 avril, «Tarbes en Philo», organisée par l’Association Reliance en Bigorre au Théâtre des Nouveautés, est un baume, table ovale préparée et présentée par Christophe Schaeffer pour lier philosophie et rugby. Ce qui semble être ici sur Côté Ouvert une envie récurrente.
Sartre écrivait : «L’Autre, ce Moi qui n’est pas Moi». Tel est le coup d’envoi de l’échange entre Michel Crauste, Jean Trillo, Patrice Lagisquet, Jean-Pierre Garuet et Dries van Heerden (notre photo), mais aussi Sophie Surrullo et le rédacteur en chef de La Dépêche, Jean-Louis Toulouze, samedi, à Tarbes.
Pour les existentialistes, la découverte d’autrui est intimement liée à la découverte de soi. Autrement dit, l’autre est ce qui me permet d’être moi. «En quoi le rugby permet-il de faire cette découverte ?», interroge Christophe Schaeffer. Michel Crauste répond : «Le rugby m’a permis d’expérimenter et de confirmer ce dont j’étais capable,» évoquant discipline et éducation, mais aussi travaille, entraide, règles de conduite. Des concepts qui le définissent parfaitement. «Sans le rugby, je n’aurais pas été l’homme que je suis devenu», assure le Mongol.
Concernant la découverte de soi à travers l’autre, en tant que joueur puis éducateur, Jean Trillo recentre sa réflexion au poste qu’il occupait, ce «centre où on est deux. Au centre, on passe sa vie à chercher et à trouver l’autre. Dans cette création partagée, il y a une forme d’isolement, de difficulté, et c’est ce qui sert à arriver à l’excellence.»
Découverte de soi à mettre en rapport avec l’amitié. «Le philosophe grec Aristote disait que la connaissance de soi est un plaisir qui n’est pas possible sans la présence de quelqu’un d’autre qui soit notre ami,» rappelle l’ami Schaeffer, avant de lancer Jean-Pierre Garuet qui avoue : « Les piliers, c’est comme les bœufs, ça marche par paires. Quand on sent que le copain dévie un peu sur la droite, on remet un coup à gauche pour lui porter secours. Sans communion, rien n’est possible ». Cette confiance, comparable à une société, analogie pour le vivre ensemble. Reste de savoir si le rugby peut encore être une école de la vie dans son contexte actuel. Ce qui nous ramène au premier paragraphe de cette chronique.
La mêlée, creuset de solidarité, complicité, soutien. « Si vous ne vous aimez pas dans la mêlée fermée, vous n’avancez pas… », note Garuet. Mais à considérer que se connaitre soi-même se fait à travers l’autre, note Schaeffer, comment travailler avec les différences de chacun que ce soit dans une équipe ou dans la vie ? A Patrice Lagisquet de répondre : «Il faut chercher l’équilibre entre tous les profils, le mariage entre le potentiel physique et le tempérament. Le danger est d’aller chercher des profils avec qui on va s’entendre alors qu’en réalité un certain type de conflit, d’opposition, peut faire avancer.»
Autre volet du questionnement, la passe. Maurice Prat disait : «Si on  n’a  rien compris à la passe, on n’a rien compris au rugby.» Trillo prolonge l’aphorisme. «La passe devient un trait d’union afin de n’être plus qu’un. Ce ballon qui passe de main en main, ce ballon porteur d’allégresse, de bonté, d’amour de l’autre, finit par réunir les êtres au point de les confondre. C’est encore pour un instant la défaite de la solitude, de l’individualisme, de la bêtise.»
La nature de ce trait d’union, c’est aussi d’après Jean Trillo le lien qui ne s’est pas effectué entre les deux rugby, le moderne et le contemporain, alors que pour l’ancien capitaine du XV de France, ils ne sont pas nécessairement incompatibles.
«Au rugby, seul, on n’est rien», assurait Eric Champ. L’autre – mon coéquipier – attend autant de moi que moi j’en attends de lui. Ceci engage donc une responsabilité, précise Christophe Schaeffer. On peut penser, avec le philosophe Emmanuel Lévinas, que «le moi, devant autrui, est infiniment responsable». Je n’ai pas le choix : je dois répondre présent, malgré moi, assure Schaeffer, avant de conclure : «Cette responsabilité, quelle est-elle vraiment ? Un altruisme, qui peut être décrit comme l’ouverture du moi au profit d’autrui ? Cette responsabilité, est-ce un devoir ? Comment la comprendre à l’échelle d’une société, du vivre ensemble ?»
En guise d’épilogue, mais plus certainement d’ouverture à la deuxième édition de cette table ovale, Christophe Schaeffer nous livre cette anecdote. «A la fin, une dame dans la salle a dit : Je ne connaissais pas le rugby. Non seulement, j’ai appris à le connaître mais à l’aimer. Je ne savais pas à quel point c’était de la philosophie… » Des mots sur nos maux.

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SOS médecin

Le rugby alternait naguère contacts et évitements. Il se résume désormais en de multiples collisions. Les commotions obligent les joueurs à sortir du terrain afin de subir un protocole. L’intervention régulière de staffs médicaux des clubs  – la dernière en date au stade Pierre-Mauroy de Lille pour Cramond – n’est pas entourée de toutes les garanties. Ce constat, guère réjouissant pour la santé et l’intégrité des joueurs, engendre ici la réaction d’un bloggeur, Alain Sauné, aka «Tautor», ancien joueur, médecin urgentiste en Top 14, ProD2 et Fédérale 3, membre de la commission médicale du comité Midi-Pyrénées pour les sélections moins de seize et dix-sept ans, texte que je soumets à votre sagacité.
«Le rugby professionnel est une affaire de professionnels. Mais rien n’est fait par les commissions médicales LNR et FFR, parents pauvres, pour avoir le meilleur professionnalisme au bord du terrain. L’exemple typique concerne la commotion cérébrale.» Face au pays de Galles, le troisième-ligne aile international parisien «Antoine Burban sort pour le protocole et revient dix minutes minutes plus tard.» Le week-end suivant, il était encore victime d’un KO à Pau, avant d’être interdit de pratique sportive pendant un mois.
«En revanche, lors du match France-Angleterre, le capitaine Dylan Hartley, victime d’une commotion cérébrale, est pris en charge par le staff médical anglais avec l’aide d’une équipe de secouristes, selon les normes en vigueur. Seule manquait la voiturette. Samedi, lors de Toulon-Racing, commotion cérébrale avec hémorragie nasale ou buccale ? Sans secouristes, sans soins adaptés, un zombie est évacué entre le médecin et son adjoint ! Stop.
Il est grand temps que le rugby se dote d’une médecine professionnelle. Primo, il faut être au moins médecin du sport, ce qui n’est pas le cas sur le Top 14 et la Pro D2. Secondo, ceux qui ne pratiquent pas la médecine d’urgence devraient être formés, non pas à des stages de complaisance, mais par des spécialistes, laquelle formation comprendrait, comme en Angleterre, un examen écrit (on est reçu si on a plus de 75% de bonnes réponses) qui donne droit ensuite à une formation pratique sur deux semaines. Au terme de quoi vous pouvez officier sur les terrains pendant deux ans, licence renouvelable.
Le staff médical doit s’adjoindre une équipe de secouristes professionnels, rompus à la prise en charge standardisée d’une commotion. Aujourd’hui, une commotion cérébrale, ou perte de connaissance, voire un coma, est prise en charge – dans le domaine public – par le SAMU et les pompiers ? Pourquoi pas en rugby ? Un médecin ne peut gérer à la fois le terrain et l’infirmerie. Il faut déléguer ces tâches à un urgentiste, médecin indépendant. Ne faudra-t-il pas créer comme en F1 une vraie infirmerie, disponible pour les deux équipes avec des moyens techniques et humains adaptés ?
Il en est de même pour les plaies : pourquoi limiter le temps d’un saignement à dix minutes ?  Et les fractures… Il est nécessaire d’avoir à disposition tous les types d’attelles afin d’immobiliser proprement les fractures, meilleur traitement antalgique en première intention. Lors le match Grenoble-Stade Français, le joueur victime d’une luxation du coude sortit avec une attelle, mais elle correspondait à celle utilisée pour un membre inférieur. Encore une preuve d’amateurisme.
Il faut ensuite prendre en charge la douleur. Pour cela, il est nécessaire de disposer de médecins aguerris à la pratique des injectables. A quand l’utilisation du Méopa (gaz hilarant) pour manipuler des fractures, des luxations, voir suturer des plaies ? Vous l’avez compris, en rugby, nous sommes encore au stade de la médecine rurale. Et si on parle dopage, un contrôle ne peut démarrer qu’à la fin du match, et non avant comme ce fut le cas à Lille…»
Ce «dossier» médical est un pavé dans la mare – le marigot ? – de la LNR et de la FFR. J’avais souhaité, lors de notre première rencontre au restaurant Les Quinconces en marge des dernières demi-finales, à Bordeaux, que ce blog soit aussi le vôtre, internautes, et que vous puissiez exprimer, dans cette vitrine, le meilleur de vos coups de gueule et de vos coups de coeur. C’est désormais le cas. Je m’en réjouis.

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Virage relevé

Celles et ceux qui ont suivi le rugby ce week-end, et il y en avait même beaucoup, de rugby et de spectateurs-supporteurs, s’entend, n’ont pas manqué de garder à l’esprit le chiffre 41. Comme le nombre de points inscrits par les Bleuets à Pau, vendredi soir, face à l’Angleterre. Nous l’évoquions ici même sur ce blog, la semaine dernière : la formation française facilite l’éclosion de jeunes talents, citons Buros, N’Gandede, Mignot, Dupont, Cancoriet, Tanguy, Verhaeghe, et trois fils de, à savoir Penaud, Roumat et Retière. Ils peuvent devenir les Chat, Maestri, Machenaud, Poirot et Jedrasiak d’après-demain… Il sera donc intéressant, dans trois ans, de savoir où ils sont, où ils en sont. Parce que question relève, ils sont là. Ne les oubliez pas.
Les Féminines, de leur côté, en Bretagne, ont remporté le Tournoi des Six nations, prouvant que tout n’est pas sombre au royaume de Marcoussis. La France n’est pas devenue subitement une petite nation de rugby. Même si depuis cinq ans maintenant, le Grand Chelem 2010 et la finale perdu de justesse face aux All Blacks lors du Mondial 2011, le XV de France, celui des grands, au masculin, ne parvient pas à se hisser de nouveau sur les sommets internationaux.
Le bilan bleu du premier Tournoi de l’ère Novès, contrasté, a été rebattu depuis samedi soir, presque au coup de sifflet du dernier match de la dernière journée de ce Six Nations remporté par l’Angleterre, Grand Chelem à la clé : du jeu debout, de la prise de risque, de l’élan, des envies, un esprit. Mais trop de fautes de mains et pas assez d’impact physique. Le sentiment d’avoir avancé, mais de façon cosmétique. Cinquième, ça n’a rien de glorieux. Pourtant il y a quelques sujets de satisfaction. C’est déjà ça.
Guy Novès n’est pas un magicien. Nous le savions. Plutot un formateur, un éducateur. Il n’est pas arrivé à obtenir ce qu’Eddie Jones est parvenu à réaliser dans le même laps de temps que lui, c’est-à-dire trois mois. Mais l’Angleterre et la France ne partaient pas sur la même ligne. Novès peut aligner des bouts de séquences, mais ça ne fait pas un film. Nous quittons ce Tournoi presque comme nous y étions entrés, et ce n’est pas la perspective d’une tournée de juin prochain en Argentine, sans les joueurs des quatre meilleurs clubs français du moment (sans doute Clermont, le Racing 92, Montpellier et Toulon) qui va permettre au manager toulousain de continuer à construire son projet.
Jusqu’à quand cette mascarade va-t-elle continuer ? Quand les instances, LNR et FFR, vont-elles enfin s’accorder pour éviter que le XV de France finisse dans le mur ? Que faut-il exiger pour bâtir un projet global qui nous permettrait d’éviter de terminer dans les fonds du classement World Rugby, et pourquoi pas un jour prochain au-delà de la dixième place mondiale, ce qui va finir par être notre niveau si l’on continue à avancer en ordre dispersé, Top 14 d’un côté, XV de France de l’autre ?
Les Anglais ont inventé ce jeu et ils l’ont aussi remarquablement amélioré, surtout en ce qui concerne les liens club-sélection. Pourquoi n’y arriverions-nous pas de ce côté-ci du Channel ? Les élections fédérales, du moins les manœuvres qui y préludent, vont surgir. Avant et après trois tests de novembre qui s’annoncent particulièrement épicés, face aux Samoa, à l’Australie et à la Nouvelle-Zélande, excusez du peu. Et on peut s’attendre à ce que les résultats du XV de France influent directement sur les votes des présidents de club, plus de 1 800, au moment d’élire une liste, un projet, un homme.
Vers qui vont-ils se jeter, ou se projeter, ces présidents ? Dans quels bras ? Camou, Salviac, Laporte ou Doucet présentent-ils aujourd’hui les garanties d’un véritable changement de paradigme pour le rugby français ? Je vous avoue que j’ai plus d’interrogations à vous faire partager, à ce jour, que de certitudes. 2016, année olympique, sera un tournant pour le sport que nous aimons, que nous suivons, dont nous parlons ici avec passion et verve, ami(e)s bloggeurs, virage dont il faut que le rugby d’ici sorte relevé.

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Aux larmes, citoyens !

Pendant quelques jours encore, en attendant le coup d’envoi qu’on espère rédempteur face aux Anglais (on peut toujours rêver), il nous reste nos yeux pour pleurer devant le dégât constaté à Edimbourg. Ce n’est pas la défaite qui chiffonne mais la manière avec laquelle les Tricolores dans ce Tournoi, qu’on annonçait régénérés par la parole neuve de leur manager, s’y prennent pour se planter ainsi. A croire qu’ils ne savent plus se passer un ballon.
Ils se le jettent comme s’ils voulaient s’en débarrasser. Quand ils ne s’arrêtent pas pour transmettre, à l’image de François Trinh-Duc qui joue bloqué pour armer, ils balancent la balle trop bas, derrière ou trop loin… Impossible donc de prendre de la vitesse en attaque. Il faut attendre de Gaël Fickou une prise d’initiative en forme de mini-percée, ou une percussion de Guilhem Guirado, pour marquer.
Depuis deux saisons, nous sommes lourdement pénalisés en mêlée. Nicolas Mas, puis Rabah Slimani et enfin Uini Atonio, sont dans le viseur des arbitres. On leur reproche des appuis mal calés, des liaisons dangereuses car rapprochées, des angles de poussée vers l’intérieur. Ca avait commencé à Cardiff, en 2014, et ça n’a pas cessé depuis. Faut-il changer de piliers ou d’entraîneur ? Qui mettre à leurs places ? Ou alors changer tous les arbitres ; ce serait peut-être plus simple.
Reste la touche bleue. Ah, notre alignement ! Quelle beauté ! Quelle splendeur ! Nous y régnons sans partage. Encore seize ballons gagnés sur dix-sept. Mais pour quel résultat ? Rien. Ou si peu. Aucune prise de la ligne d’avantage après le relayeur, pas de ballon porté bonifié par un essai. Juste une statistique. La plus grosse de ce XV de France. Mais inutilisable dans le jeu. Sans doute parce que notre épine dorsale, Guirado-Chouly-Machenaud-Trinh-Duc et Spedding, n’évolue pas sur la même ligne, n’est pas réglée sur la même onde. Je ne vois que ça.
Au fait, quelqu’un a-t-il aperçu la troisième-ligne française ? Un Biterrois de mes amis, plutôt bardé d’expérience en la matière, me signalait dimanche soir par SMS qu’il était temps de «refaire un casting et d’intégrer des joueurs dotés de dimension athlétique, de «tueurs» capables de franchir. Il faut redevenir conquérant, ajoutait-il, sinon l’avenir sera triste.» Déjà que le présent n’est pas bien radieux…
Samedi, les Anglais joueront pour le Grand Chelem au Stade de France et nous, Français, pour l’honneur. L’honneur ? Cette Légion dont on épingle à l’Elysée les revers des rois des pires régimes pour services rendus à notre commerce extérieur ? Pas certain que la ficelle fonctionne face à cette machine à jouer qu’est le XV de la Rose version Mister Jones. Certes, Novès et ses adjoints vont convoquer Jedrasiak, Parra, Chiocci, Danty, Lamerat, Le Roux, Fall, David Smith. Euh non, pas lui, désolé… On pourrait même rappeler Mas, Menini, Brugnaut et Poux, Papé, Méla (spécia dédicace, Sylvie…) et Nyanga, Rougerie, Talès, Dumoulin et jusqu’à Dusautoir pour sauver la patrie, comme l’aurait fait Fouroux, furax.
Nous constatons la disparition du rugby bleu et pas seulement parce que Philippe Saint-André a sabordé le navire lors de sa prise de quart. Novès ou pas, appel aux valeurs ou fumée médiatique, cette génération d’internationaux français est la plus faible en lice depuis 1980. Et ce n’est pas en alignant 50 % d’étrangers sur les feuilles de match du Top 14 que nos petits Bleuets (on notera la présence des fils Roumat et Penaud), qui se sont bien battus pour l’emporter face à leurs homologues écossais, 36-21, pourront progresser. Que leur arrivera-t-il quand ils auront fêtés leurs vingt ans ? Il leur faudra choisir entre faire banc, bien payés, en Top 14, ou rejoindre la Pro D2 voire la Fédérale 1, au SMIC. Que croyez-vous qu’ils choisiront ? Savoir quoi faire de ses enfants :  ce doit être à partir d’aujourd’hui la seule préoccupation du rugby français. Relayons-là. Avant de descendre sous la botte de l’Italie, d’ici peu.

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A l’estomac

On apprend donc que les Anglais à l’école vont arrêter l’exercice du plaquage. Déjà qu’il est interdit de pousser les mêlées dans certaines catégories d’âge et de niveau, et sans compter qu’il ne faut plus mettre les mains dans les rucks, que va devenir à court terme le rugby quand on apprend que les législateurs ovales de la World Compagnie planchent sur la meilleure façon d’édulcorer la mêlée ? Si jamais cette contre-indication franchit la Manche et que nos petits Français se retrouvent dans la position du pingouin en défense, déjà que l’art de la passe se perd, que va-t-il donc nous rester ?
Des efforts sont effectués pour indiquer au public de plus en plus nombreux mais de moins en moins averti qu’il est de bon ton de ne pas siffler les buteurs dans l’exercice de leurs fonctions. Louables, ces efforts. Mais dans le même temps, plaie à signaler, les présidents en mal de com’ rémunèrent des brailleurs patentés affublés d’un micro pour vendre comme à la criée  les lots d’actions à plusieurs temps de jeu. A Colombes et à Chaban-Delmas, les pétitions circulent pour changer le speaker. Ailleurs aussi, sans aucun doute. Mais nous n’en avons pas encore eu écho. Restons à l’écoute.
Conséquence de la surenchère de décibels, s’intensifient les mauvaises manières entendues dans les stades. Dernier exemple, les quolibets déplacés du public rochelais, dimanche, à l’encontre des joueurs du RCT sur l’air puéril du «Mais ils sont où, les Toulonnais ?» Où sont-ils : troisièmes au classement. Chambrage aussi inutile que ridicule, donc, surtout venant de cette même foule qui sifflait à domicile son équipe en début de saison à l’issue de la déculottée reçue face à Clermont. Il faut croire que le néo-public d’ici et d’ailleurs a besoin d’exulter autrement qu’en secouant les petits drapeaux qu’on lui distribue gracieusement à l’entrée des joueurs.
J’ai entendu, ce week-end, d’autres travées faire connaître leur mécontentement, en particulier celles de Montpellier. Il faut dire qu’en alignant trois Français au coup d’envoi, Paillaugue, Ouedraogo et Privat, le MHR de l’écrivain Altrad ressemble davantage à une franchise sud-africaine en panne de Super 18 qu’à un club d’héros locaux. Et encore, dans le Super Rugby, voit-on peu de jeu au pied alors qu’à Montpellier, entre les ballons portés d’aurochs et les grands coups de godasse pour gagner du terrain, il y a de quoi s’irriter. Voire s’endormir. On suggère au président lettré de recruter les speakers de Colombes et de Chaban-Delmas pour animer les travées de l’Altrad Stadium. Ou couvrir les sifflets.
Endormie, c’est aussi la posture du responsable des affaires internationales à la FFR – en fait, ils sont deux, et pas un pour racheter l’autre – qui a oublié de mentionner que David Smith avait disputé un tournoi de rugby à 7 avec la Nouvelle-Zélande, ce qui le rendait inéligible pour la France. Au lieu de quoi, on a laissé monter sous ce mauvais ballon l’ailier de Castres, aller-retour en deux jours, le temps qu’il se restaure à la cantine de Marcoussis. Après ça, vous voudriez que la FFR soit prise au sérieux quand elle défend son projet Grand Stade à 600 millions d’euros, dont les deux tiers sur emprunt quand elle n’a pas – soi-disant – un kopeck vaillant pour mettre trente internationaux sous contrat pendant les deux mois et demi que dure le Tournoi des Six nations, renvoyant les joueurs au hachoir du Top 14 – cf le forfait de Burban victime de commotions répétées –  entre deux tests internationaux ? Du pain béni pour l’évangéliste Laporte qui poursuit son Tour de France des clubs pour fédérer – sans se forcer – les mécontents.
Nous voilà partis pour Edimbourg, terre de whisky et de rucks, de grésil et de panse de brebis farcie, et toujours les quatre ensemble. «Personne ne joue au rugby dans des conditions pires que les nôtres,» me racontait au téléphone cette semaine l’ancien demi de mêlée Roy Laidlaw, l’oncle de Greig, celui qui risque de nous faire trinquer. «Ca fait quatre semaines que le meilleur club écossais, Hawik, n’a pas pu jouer sur sa pelouse tellement elle est impraticable, gorgée d’eau et gonflée de boue.» La terre des kilts n’a donc pas encore été touchée par le réchauffement climatique.
Ni par les mauvaises manières. Pas de speaker brailleur ni d’irrespect à Murrayfield. Et si quelques «étrangers» sont venus chercher de l’emploi dans cette région de peu d’habitants et de moins en moins de rugbymen – c’est à déplorer -, ils mouillent le maillot en s’inscrivant dans une tradition de «pilleurs de poubelles», ainsi que Will Carling surnommait les Ecossais toujours les mains dans les rucks adverses pour pourrir le jeu. Ajoutez à la pluie glacée une grêle de percussions dans le bide et vous aurez une idée de ce qui attend les Français, dimanche. Du rugby à l’estomac. Comme le disait Julien Gracq de la littérature. L’occasion pour le XV de France de prendre du volume.

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Chanson de geste

Le trait des plus beaux desseins collectifs n’est souligné que par l’excellence individuelle. Vendredi soir, à Cardiff, la victoire galloise rappelle une fois de plus qu’une équipe n’a de poids qu’au travers des performances de ceux qui la composent. L’inverse est rarement vrai car l’essence du sport collectif est un voyage aller entre la performance de chacun et les repères partagés.
Pour la première fois depuis plus de trente ans, je me retrouvais donc dans les travées du Principality Stadium au milieu des supporteurs français, et non en tribune de presse. Frigorifiés sous le toit ouvert, nous avions, avec mes voisins, identifiés trois secteurs-clés qui permettraient aux Tricolores d’éviter la défaite face aux Gallois : la défense dans le jeu au sol, la conquête directe et la prise du milieu du terrain. Mon père Jean-Claude,  fin connaisseur des choses ovales, avait de son côté émis une réserve: elle concernait la justesse technique.
L’entame du match lui donna raison. Les chants gallois ne montaient pas encore, il n’y avait pas eu de ruck, de touche, de mêlée et de percussions, que le XV de France avait déjà perdu la bataille du geste. Trois ballons à la retombée et trois cagades ; deux passes mal ajustées, un ballon relâché, un coup franc tapé directement en touche…  Des erreurs de cadets qui nous mirent mal à l’aise. Et comme le pays gallois sait boire, immédiatement la pression fut versée devant l’en-but français.
La direction que prend le XV de Novès se précise depuis trois matches autour d’une opiniâtreté communicative qui fait plaisir à voir, mais sa composition apparait trop fragile pour résister à l’épreuve du Celte sur ses terres. Trop de mouvements erratiques, d’attitudes approximatives, d’erreurs individuelles soufflent une flamme que la meilleure volonté du monde ne parvient pas à entretenir.
Défense, touche et mêlée permirent d’éviter une trop lourde défaite, points positifs qui ne sont pas à jeter dans la rivière Taff qui longe la tribune de presse. Pour autant, ces secteurs n’offrent pas de bonus offensif. Point de victoire sans efficacité, opportunisme, vista, éclairs… Réciter systématiquement des ballons portés derrière pénaltouche ne fera pas avancer la cause du XV de France qui traverse depuis quelques temps une mauvaise passe.
Le XV de France mise sur son banc pour inverser le cours d’un destin contraire. Ce fut le cas contre l’Irlande et là encore face au Pays de Galles. Une option intéressante, pourquoi pas, à condition que personne ne se blesse. Médard et Chouly sortis, les Tricolores terminèrent leur rencontre avec le demi de mêlée Bézy à l’arrière et le talonneur Chat troisième-ligne aile. Après avoir croisé Mar de Rougemont dans un passage du centre-ville, ça rappelait la charge héroïque de 1997 à Twickenham – et après tout qu’importe le poste quand on a l’ivresse -, mais l’efficacité en moins.
La frustration de Guy Novès s’explique. Dominée outrageusement en première période, son équipe  de France n’était menée à Cardiff que de trois points à la pause. L’adversaire s’était nourri au score d’erreurs et de fautes tricolores – signalons pour mémoire celles de Jedriasak, Danty, Goujon et Plisson – avant de subir à son tour, éreinté, percuté, mâché.
La nôtre, de frustration, était aussi forte, placés que nous étions juste au-dessus de l’en-but gallois en seconde période (cf photo), impuissants face à ce chapelet de pénaltouches et de ballons portés stoppés in extremis, de percussions et de courses rectilignes avortées. Après tant d’efforts peu récompensées, d’élan mal maîtrisés, de domination stérile, le plongeon méritant mais tardif de Guilhem Guirado, capitaine courage à la façon d’un Philippe Dintrans, n’attisa même pas nos regrets à l’issue de cette défaite.
La 17e journée de Top 14 va passer un baume sur cet échec ; le Racing, Toulouse, Clermont, Toulon, La Rochelle et le Stade Français, soit pour assumer leurs ambitions, soit parce qu’ils sont en danger, vont aligner leurs internationaux fracassés/minés avant le déplacement à Edimbourg. De son côté, Guy Novès titularisera peut-être en Ecosse Parra ou Doussain, Bonneval ou Nakaitaci, Trinh-Duc, Lamerat, Fofana ou Fickou, Le Roux, Camara, Gourdon ou Goujon, Maestri ou Vahaamahina. Nous le saurons bien assez tôt. En espérant qu’après avoir posé quelques fondations au combat, ses joueurs s’impliqueront davantage dans la finition.

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Land of my Fathers

Après les courts succès d’estime et d’estocs mais pas encore de taille contre l’Italie et l’Irlande, se profile l’essentiel au Principality. De quoi baptiser le XV de France dans ce Tournoi ouvert à six vents mais fermé, vendredi, sous le toit de ce qui reste à jamais l’Arm’s Park, même renommé ad lib ; ou du moins son âme qui chante et vibre encore.
Ce rugby commence à la mine et rebondit par les ailes, s’ouvre au pub et se termine à l’Angel Hotel, jeu de vallées et de chœurs. Il va courir comme un étalon. Il suffit de consulter les archives pour trouver trace de défaites à Cardiff alors même que le XV de France se présentait en force. La dernière déconvenue en date ? 2014. Deux succès et le germe d’un Grand Chelem dans les esprits. N’a poussé qu’un fiasco.
Souvent dans le Tournoi les Gallois sur leur sol, devant leur public, trouvent la clé des chants, et font passer leurs adversaires de terreurs à erreurs. Ceux de 70 s’en souviennent encore : ils avaient beau marquer à coups de coniques leur supériorité d’homo packus, ils n’ont jamais pu l’emporter à Cardiff. On soulignera d’autant la performance de l’équipe commandée par Thierry Dusautoir, en 2010, ouvrant au forceps la gueule du dragon pour en sortir un mâle Grand Chelem.
Je vous laisse ce champ d’expression, ami(e)s Branquiblogueurs, pendant la semaine d’affiche rouge. Pour ma part, je vais me décaler vers Cardiff en compagnie de mon père et de mon frère. Old school, la malle riche de conserves et de nectars, direction l’ancestral pour y fêter les quatre-vingt ans de celui à qui je dois tant, joueur, arbitre et dirigeant à Ribérac, La Rochelle et Puilboreau.
Cardiff, c’est une partie de mon histoire ; les premiers matches du Tournoi en noir et blanc, 1966, j’avais sept ans, une passe perdue dans le vent. 1986, en février, mon premier reportage Cinq nations. Visite du musée, avec sa magnifique collection de pré-impressionnistes, puis Galles-Ecosse le lendemain. Hen Wlad Fy Nhadau me rappelle qu’il me fut impossible d’écrire la moindre ligne durant les quinze minutes qui suivirent l’hymne.
Pour la première fois je vais lâcher prise, revenir aux sources de ma propre histoire, succession, filiation, transmission. Pour cela j’aime ce sport, supplément à la vie ; parfois la plus profonde, puisque épidermique, grégaire et fusionnelle, de ses métaphores. Etat d’esprit préhensible, naturellement à notre portée pour peu qu’on le veuille. Alors le trio part en voyage y jouer sa coda.
Bien sûr, il y a l’heure de Guirado, parce qu’on achève bien les chevaux, et une composition bleue qui fera couler l’encre en rade ; comme les regrets d’une journée de Championnat tronquée, mal embouchée, déplacée. Tel est notre rugby d’en transe, professionnel depuis 1920 mais géré par des amateurs, terre d’accueil généreusement tournée vers l’ailleurs mais qui oublie de regarder ses enfants percer. J’en lis qui fulminent pour leurs clubs mais à l’heure des grandes explorations le regard scrute l’horizon, pas leurs pieds.
Le rugby est affaire de vista. Samedi, les ex-All Blacks Carter et Rokocoko à Grenoble, Slade et Smith nous l’ont montré et démontré encore une fois, s’il en était encore besoin. Les deux matches sur mes écrans télé s’allumèrent au même moment après soixante-dix minutes de jeu : appel de Conrad, et Colin dévalait dans l’en-but héraultais ; puis Dan trouvait Joe au rebond à Grenoble. En rugby, la vitesse de décision et d’exécution n’est jamais dépassée. Puissent les Bleus vendredi aller au-delà leurs limites.

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Cousu main

Il y a bien longtemps que le Stade de France ne s’est pas levé comme ça ! N’avait pas hurlé sa joie après avoir encouragé le XV de France, mené mais debout, à vaincre l’adversité. Longtemps qu’il n’a pas chanté une Marseillaise au bon moment. Et on me dit qu’il pleuvait samedi dernier sur Saint-Denis. Autour de moi, personne n’a remarqué les gouttes et surtout pas les joueurs, qui n’ont eu de cesse de jouer et d’oser, de se passer le ballon, de tenter des coups, d’improviser et de s’adapter.
Pour une fois, le retour du Championnat après le Tournoi ne m’intéresse pas tant que ça. Franchement, j’ai hâte d’être assis dans les tribunes du Millennium Stadium de Cardiff pour voir comment ce XV de France nouvelle formule va s’en sortir face aux Gallois, et ce que North et Roberts vont bien pouvoir sortir pour éteindre le feu tricolore qui brûle les mains du public à force de crépitements dans les travées de Saint-Denis depuis deux matches.
Voilà, il ne s’agit que de plaisir. Rien d’autre. Et surtout pas de perfection. Qui a dit qu’un entraîneur pouvait tout changer en un mois, en quinze entraînements et en deux matches ? Impossible. Et pourtant. Pas tant sur le terrain – encore que – mais surtout dans les têtes bleues. C’est là où intervient l’attitude dont nous parlions il y a peu ici même. Des regards et des mots en dehors, des placements et des soutiens sur le terrain. Du détail. Mais qui compte.
Transmettre. Le mot qui convient. Donner, offrir, prolonger, poursuivre, continuer y sont associés. De loin comme de près. Au ras et au large. Transmettre, c’est le boulot de Jeff Dubois. Né à Peyrehorade, terre de passes, terroir ovale où ont passé les internationaux Lamaison, Taffary et Peyrelongue. Il y a son sourire, sa sérénité non feinte, son bonheur d’être auprès du XV de France, adjoint chargé des lignes arrière, pour voir comment et pourquoi on va transmettre le ballon. Et à qui.
Alors oui, vivement vendredi prochain, Cardiff, Land of my Fathers et les premières percussions Roberts-North pour sentir si ce que nous percevons est un prélude ou une limite, une entrée ou un désert, une ouverture ou la dernière mesure à prendre. Je retrouve, comme certains d’entre vous, ce plaisir du Tournoi, quand il était difficile d’attendre quinze jours et qu’alors nous nous prenions à rêver, à imaginer, à fabriquer, à concevoir le scenario du match à venir.
Jeff Dubois l’a dit : la clé consiste à insuffler de la confiance. A ce niveau de compétition, ce n’est certes pas suffisant, mais c’est déjà un bon début. Il y aura des changements pour affronter le pays de Galles qui sort toujours couvert sous son toit, forcément du mieux, encore que pendant ce laps de temps, les internationaux si bleus à l’âme seront revenus dans leurs clubs. On espère qu’ils n’auront pas à relire leurs cahiers de jeu pour réviser les «chaînages ». Quel vilain mot. Vous savez, ces enchaînements de temps de jeu préétablis qui plombent notre rugby depuis une décennie.
A la pensée mâchée, préfèrer l’intelligence activée dans l’instant. Cette «intelligence situationnelle» prêchée par Pierre Villepreux en son temps et parfois dans le désert, sauf au Stade Toulousain. Nous y voilà. Mauvaise sortie de balle sur la troisième mêlée commandée par capitaine Guirado et Machenaud, pas médusé, qui capte au rebond ce ballon, retarde sa passe une fraction de seconde pour trouver le bon tempo et sert idéalement Max Médard lancé à hauteur. Cet essai scelle le succès. Ses racines sauront-elles faire naître de quoi éteindre le feu gallois ? Un petit écart au score contre l’Italie et un point contre l’Irlande ne portent pas à le croire. C’est pourquoi ce déplacement à Cardiff constitue une intéressante interrogation.

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Fait pour durer ?

Depuis une décennie que le XV de France se cherche un demi d’ouverture suffisamment mature pour prendre ses responsabilités sans avoir à regarder en direction du bord de touche pour demander à ses entraîneurs ce qu’il doit faire, il est possible d’affirmer que Jules Plisson, samedi dernier, face à l’Italie, s’est inscrit en rouge et blanc, pardon, en bleu, sur la durée. En choisissant de tenter le but de pénalité de cinquante mètres en coin quand le staff et son capitaine souhaitaient la pénaltouche, il s’est imposé à un poste où les candidats sont aussi rares que peu fiables.
Quand William Webb Ellis prit le ballon à la main au lieu de le frapper au pied pour avancer, ce fut « avec un beau mépris » pour les usages de son époque. Que Jules Plisson – à qui tout le monde indiquait la touche – pose le sien, de ballon, sur un tee au pied de ses entraîneurs, tribune officielle, pour frapper au long cours ce qui allait devenir le but de pénalité de la victoire face à l’Italie, 23-21, en dit long sur sa personnalité, laquelle est en train de s’affirmer de la plus forte des manières. Ca va faire du bien à cette équipe de France qui fait sa mue.
Bien entendu, je suis d’accord avec vous tous, insatisfaits. La mêlée française n’était pas dominatrice, les avants plus concernés par le mouvement à alimenter que par les rucks à verrouiller. La défense glissée a laissé d’immenses espaces que l’Italie a su défricher à pleins mollets, les passes dans la défense ont manqué de tranchant, et nous avons souffert dans les trois dernières minutes quand d’une pénalité ou d’un drop – mais n’est pas Zinzan qui veut – la défaite semblait promise.
Mais on a vu plus de passes en un match, au Stade de France, samedi dernier, que lors des quatre dernières saisons tricolores. Il y avait de l’allégresse et de l’insouciance, ou alors beaucoup d’obéissance à suivre les consignes qui étaient de donner du plaisir avant d’en prendre. Véritable changement de paradigme que ce premier match de l’ère Novès. Bien sûr, c’est loin d’être parfait, c’est en chantier, ça manque de densité et de férocité, mais au moins personne ne s’est ennuyé.
Ce ne fut pas le cas devant le roboratif Ecosse-Angleterre, l’hésitant Marseille-PSG et le chapelet de maladresses superbowlien entre Broncos et Panthers qui nous a poussé jusqu’au petit matin. Reste le cas, inquiétant je vous l’accorde, de l’Irlande à venir. Ses trente premières minutes sont à montrer dans toutes les écoles de rugby et il y a fort à parier que son match nul, 16-16, à domicile face au pays de Galles tout aussi tonique, vécu comme un échec, sera un élément moteur, samedi prochain, au moment d’attaquer Jules Plisson et ses copains.
La chance, à savoir un pied tordu comme celui de Sergio Parisse, ne va pas se présenter deux fois de suite à une semaine d’intervalle pour nous offrir un succès à la petite semelle. Non, les Irlandais vont continuer, avec ou sans Sexton,  de (re)présenter sans calcul le meilleur de ce jeu. Victorieux des deux derniers Tournois, ils ont assommé les Tricolores de Dusautoir lors du Mondial 2015 et alignent une génération renouvelée qui ne souffre pas des absences de glorieux comme Brian O’Driscoll et Paul O’Connell.
De l’Irlande, Jean-Pierre Rives écrivait qu’il aurait aimé la représenter s’il n’avait pas été Français. Il faut dire que les enfants de Slattery, de McBride et de Wood se jettent la tête la première dans les regroupements avec une délectation non-feinte qui annonce un combat tellurique dans les rucks. Une partition pour corps et percussions en clé de sol qui nous en dira plus long samedi sur la consistance du Quinze de France version Novès qu’une victoire miraculeuse contre les Transalpins ; si Poirot, Jedrasiak, Camara, Bézy, Danty, Bonneval et Vakatawa sont fait pour durer.
Avant de se retrouver pour évoquer cette deuxième journée, un petit mot sur ce phénomène fidjien, d’ailleurs. Spécialiste du 7, avec seulement quelques bouts de matches à XV au Racing 92 derrière lui, Virimi Vakatawa a étincelé comme rarement joueur dès sa première sélection, encore que Teddy Thomas avait été brillant lui aussi. Cela dit, la différence, c’est qu’à pleine puissance Vakatawa a œuvré en défense, sur les ballons hauts, dans le plein champ, bloquant trois défenseurs pour faire vivre le ballon d’une main.
Depuis vingt ans, l’ancien flanker international Thierry Janeczek, formateur de ce jeu à la FFR, n’a cessé d’alerter les élus fédéraux sur l’importance du 7 dans la formation de la gestuelle et des réflexes technique du joueur, au sol, en défense et en attaque. Sans remonter à David Campese, Jonah Lomu et Vaisale Serevi, au moment où les Français continuent de s’enliser chaque semaine davantage dans le circuit mondial à 7, il est encore temps que Marcoussis considère à sa juste valeur cet avatar. On espère juste que la performance de Vakatawa aura décillé quelques techniciens.

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