Soleil rouge

Et avec un formidable mépris pour la règle tacite qui veut qu’on frappe une pénalité à la dernière seconde pour obtenir le match nul, les Japonais se sont saisis du ballon à la main pour aller inscrire l’essai de la victoire. Ils sont les héritiers de William Webb Ellis et, s’ils ne reçoivent pas le trophée éponyme le 31 octobre à Twickenham l’auront quand même bien mérité. Brighton, 19 septembre 2015. Gravé dans le marbre de nos mémoires comme un retour au sources d’une modernité qu’on aimerait mieux partagée.
Le premier tour est passé. Le monde ovale coupe à carreau.  D’entrée voici les Springboks éjectés. Une page écrite avec du bruit, de la fureur, de la folie même. Une fois bien balancée la cérémonie d’ouverture en prélude à un arbitrage vidéo intempestif qui promet des arrêts sur images lénifiants, j’avoue avoir douté. La réalité n’existe donc pas ? Le virtuel seul commande. C’est d’époque. Un arbitre revient sur sa décision parce qu’un verbalisateur dans sa cabine lui suggère de remonter le temps comme lui remonte les images. Tout serait donc affaire d’angle. De prise de vue. Est-ce objectif ?
Le rugby, forcément subjectif, est souvent injuste par nature. On écrit ensuite l’histoire, on capte des témoignages éclairants. Le rugby est un roman, finalement. De capes et d’effets. Il suffit de lire les commentaires laissés au bas de notre Top 100. A chacun manque ses héros, ceux de nos enfances, à jamais pour un crochet, une image, un souvenir.
On a trouvé les Anglais empesés, des Irlandais et des Gallois assurés, un XV de France rassuré (c’est le XV de la France, maintenant, rassemblée) après quatre ans de doute, la Nouvelle-Zélande secouée. On attend l’Australie et l’Ecosse. Le tour est fait. Cinq nations susceptibles d’être sacrées championnes du monde. Mais on s’en fiche un peu, pour l’instant… Dans Coupe du monde, il y a monde. On aura le temps de revenir à la Coupe.
Japon, surtout, mais aussi Géorgie, Fidji, Tonga, Samoa et Etats-Unis nous rappellent que le rugby n’est pas circonscrit au G8 . Tous les quatre ans ce jamboree nous fait voyager. Quand je vois ce que mettent Japonais et Georgiens d’engagement et de panache, je me dis que les nantis pourraient prendre exemple.
La pratique du rugby est partout étalonnée. Les schémas (on appelle ça des chaînes de jeu, c’est vilain, ça fait condamné aux travaux forcés) sont les mêmes. Dans ce Mondial, j’ai compté sept entraîneurs néo-zélandais (Cotter, Schmidt, Hansen, Haig, Crowley, Gatland, McKee), sans tenir compte des adjoints. Uniformisation ? Samedi, le Japon nous a montré qu’en utilisant des espaces libres, en puisant dans sa culture, en transformant un point faible en avantage (la taille, par exemple)  et une caractéristique – la vivacité – en principe, il était possible de terrasser des montagnes.
C’est le sens qu’on peut donner à l’exploit japonais qui, je l’espère, deviendra un succès quand d’autres victoires auront montré qu’il n’était pas sans lendemains qui chantent. J’aimerais trouver une chute digne de l’instant vécu à Brighton. J’entends une immense clameur, je vois de joie des larmes couler. Merci Sylvie. Parfois mieux vaut ne pas fermer trop vite les portées et laisser la coda. Attendons mercredi sur Comme Fou. Et rendez-vous à Gloucester.
Et parce qu’on est jamais mieux servi que par soi-même, voici – my style of swing – ce que j’aurais aimé joué au piano – si j’en avais trouvé un au Queens Hotel de Brighton – pour mon anniversaire (cuvée 1959) ce 20 septembre.

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Mystères de l’échec

La France n’est jamais parvenue à être sacrée championne du monde. Sept éditions que ça dure. S’ouvre la huitième, vendredi soir. Que faut-il pour enfin soulever Webb-Ellis ? J’ai demandé à Berbizier, Trillo, Maso, Skrela, Ntamack et Retière. Imaginez-les assis autour d’une table. Skrela se lance : «Comme toutes les nations arrivent préparées, c’est celle qui est le mieux armée psychologiquement qui gagne.» Trillo le suit : «Le mental fait la différence à quatre-vingt-dix pour cent. C’est lui qui te permet d’arriver là où tu veux aller.» Berbizier synthétise : «Dans un match, où tu lâches physiquement, où tu lâches tactiquement, où tu lâches mentalement.»
Concernant l’aspect mental, Jean Trillo complète : «C’est toujours le même scénario. Il y a toujours quelque chose qui merde. On peut l’expliquer par tel ou tel argument, mais où est la vraie raison ? » L’ancien béglais ajoute : «J’ai l’impression que sur les matches capitaux, on perd avant de rentrer sur le terrain. Tu commences par lâcher mentalement. Et après, ça dérègle la tactique et le physique. Une victoire, elle se dessine quand tu prends le dessus sur l’autre dans les aspects élémentaires du jeu et du comportement.» Premier break. Chacun commande à boire.
Un point commun réunit les différentes générations : la transmission. Ou plutôt son absence. «L’expérience des uns doit servir aux suivants», lâche Retière. Berbizier enchaîne : «Nous n’avons pas un cumul d’expériences. A chaque cycle, on repart de zéro. Les constats sont les mêmes, mais tu ne profites pas d’un acquis antérieur. Et s’il te manque toujours quelque chose à la fin, c’est à cause de cela.» Retière abonde : «Mon regret, c’est qu’on n’a pas eu de débriefing complet de l’ère Laporte. Avec Philippe Saint-André, nous ne l’avons pas fait entièrement car personne ne nous l’a demandé. Ça manque au rugby français. Il faudrait aussi qu’une partie du staff puisse continuer. Ça permettrait de maintenir le travail mis en place. Là, par exemple, Julien Deloire est resté et prolonge le travail de la préparation physique.»
La préparation physique : sans doute le point fort des Tricolores depuis 2008. Emile Mtamack acquiesce : «Aujourd’hui, avant ce Mondial, physiquement, les joueurs sont bien. Je les trouve très affutés. C’est important, l’affutage : c’est notre marque de confiance, à nous, Français. Car pour le reste, l’équipe de France est capable de mettre du jeu derrière, et de rester constante dans l’effort.» Pause café.
Trillo reprend : «Une équipe, c’est une alchimie qui te permet d’aller au bout du monde. Il faut se sentir bien ensemble. Et qu’est-ce que c’est «être bien» ? Gagner beaucoup d’argent, être exposé médiatiquement ? Je n’en suis pas certain. C’est immatériel. Et c’est ce qui te permet de faire des miracles.» Berbizier, sur un sujet qu’il aborde rarement : «L’affectif, c’est le ciment d’une équipe. Mais il faut savoir placer l’émotion au bon endroit. Ce n’est pas ce qui te fait bien jouer mais, à un moment précis, c’est ce qui te permet de faire la différence sur les autres équipes.» Skrela prolonge : «Un groupe comporte des joueurs qui ont été confrontés à toutes les formes de pression, qui ont vécu différents échecs en Coupe du monde. Il faut que ceux-là soient capables de tirer leurs coéquipiers vers le haut.»
Fataliste, Jo Maso lâche : «Tu peux avoir la meilleure préparation possible, le meilleur entraîneur du monde, si tu n’as pas les bons joueurs aux commandes, tu passes à côté de la plaque.» Retière assure : «Il faut qu’on assume tous le fait que la France est une grande nation de rugby. Et pourtant, on doute des qualités de nos joueurs. On a l’impression que ce sont les autres qui nous apportent des clefs alors qu’on a une telle puissance qu’on devrait être dans les favoris à chaque fois.» Trillo est d’accord : «Dans l’absolu,  il n’y a aucune raison qu’on ne soit pas champion du monde. Tout le reste, ce sont des excuses.» C’est terminé. Derniers échanges informels. Chacun se retire. «Il n’y a pas d’explication à tout. Il faut l’admettre,» note Bèglais. La conclusion revient à Pierre Berbizier  : « Il n’y a pas d’unité dans le rugby français. Cette Coupe du monde ne sera pas celle de tout le rugby français. C’est seulement celle d’un groupe. »
Rendez-vous samedi soir après France-Italie, ici même, pour un premier point d’étape. Et aussi sur mon blog perso, Comme Fou, pour ceux qui veulent ajouter au rugby d’autres ingrédients.

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Miscellanées

Avant d’affronter samedi prochain l’Italie à Twickenham pour l’ouverture de leur Coupe du monde, les Tricolores sont désormais installés à Croydon, au sud de Londres. Bel hôtel mais triste bourgade. Pour patienter avant coup d’envoi, voici quelques souvenirs et anecdotes à partager. Peu de gens savent, par exemple, qu’en 1987 le contrat de sponsoring liant la RWCup Ltd et KDD, géant nippon du câblage sous-marin, n’a été signé que trois heures avant le début de la cérémonie d’ouverture, à l’Eden Park d’Auckland.
Marcel Martin, Monsieur Coupe du monde, m’avoua aussi avoir dormi pendant la durée de la compétition avec le trophée Webb Ellis plaqué or sous son lit, en Nouvelle-Zélande et en Australie. Certains hôtels n’avaient pas de coffre-forts assez grands pour abriter la coupe.
Deux jours après la victoire des All Blacks en finale face à la France, l’ailier Craig Green fut aperçu sur le toit d’une maison, à Christchurch. Il fêtait son titre, une mousse à la main ? Non, il alignait les tuiles. Couvreur de métier, il avait pris un congé sans solde durant les sept semaines de compétition et retrouvé ensuite le chemin des chantiers.
C’est une question à poser qui peut vous faire gagner des paris. Qui est le meilleur buteur de l’édition 1991 ? L’ouvreur irlandais Ralph Keyes. Il avait effectué des débuts internationaux en 1986 avant de revenir cinq ans plus tard pour disputer la Coupe du monde. Seize buts, deux drops et sept transformations. 68 points. Le plus faible total jamais enregistré pour un top réalisateur en Coupe du monde. En suivant, après trois matches dans le Tournoi, il disparut comme il était venu.
En 1995, fier des performances tonitruantes de son jeune compatriote Jonah Lomu, le roi du Tonga, Tupu IV, profita de la montée hors des eaux d’un volcan en plein Pacifique pour le baptiser du nom de cet ailier all black, dont la famille est originaire de Nuku’alofa.
Cette année-là, une compagnie pétrolière s’était fait une mauvaise publicité en annonçant un don de 2 000 francs (ce serait l’équivalent de 1 000 euros aujourd’hui) serait versé à la fédération sud-africaine pour aider au développement du rugby dans les townships chaque fois que Lomu serait plaqué et mis au sol lors de la finale. Résultat : boycott immédiat des stations Shell en Nouvelle-Zélande et marche arrière du pétrolier dans la journée.
En 1999 se déroule la première édition «professionnelle». Surprise, Rod Macqueen, l’entraîneur des Australiens victorieux du trophée Webb-Ellis, n’a aucun passé rugbystique. Il a introduit les staffs pléthoriques à plus de vingt techniciens et l’usage systématique de l’ordinateur portable pour les joueurs mais dans la vraie vie, il construit et décore des magasins de fleurs et des parfumeries.
Désormais les internationaux sont gainés, bodybuildés et suivis ; tracés, même, au GPS. Tous, sauf une poignée d’irréductibles anglais, qu’on appelle «les cadres», des trentenaires qui jettent leurs derniers feux dans le Mondial. Soucieux de se ménager durant la phase finale, ils déposent et obtiennent deux requêtes auprès de leur manager, Clive Woodward : titulariser Mike Catt au centre pour épauler Jonny Wilkinson qui peine à gérer le jeu et alléger les entraînements. En effet, Leonard, Hill, Johnson et compagnie ne souhaitent pas gaspiller leur énergie à courir sous le soleil austral. Un choix écologique qui s’avère payant puisqu’ils décrocheront le titre mondial.
Quatre ans plus tard, révélations du Mondial disputé en France, les Argentins annexent le casino d’Enghien. Sur le petit parking situé derrière leur hôtel et réservé au personnel, ils installent un cadre de lit en fer et l’utilisent pour faire rôtir deux fois par semaine des demi-bœufs, à la façon des gauchos. Familles et amis sont invités.
En 2011, une autre invitation circule, mais à garder le secret, celle-là. Deux semaines avant la finale, Richie McCaw souffre d’une fracture de fatigue du gros orteil et d’une entorse de la cheville droite. Mais il tiendra sa place. Avant la finale, il prend néanmoins en plein cœur la «flèche» construite par les joueurs français en réponse au haka. Cette formation en pointe est le seul symbole capable de contrecarrer l’effet haka des All Blacks. C’est en tout cas de cette façon que certaines tribus guerrières répondaient aux chants de guerre de leurs adversaires. L’un des policiers néo-zélandais chargés de la protection du XV de France a confié ce secret à Thierry Dusautoir.
Que nous réservera l’édition 2015 ? Qu’aimerons-nous en garder, au-delà des scores et des classements ? C’est pour le savoir que j’ai hâte d’être sur place. A mardi donc. Ceux qui aiment mêler littérature, philosophie, ovalie, cinéma, musique et oenologie pourront aussi me suivre au quotidien pendant sept semaines sur Comme Fou.

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Pour prix de l’essence

Le pensum de samedi face à l’Ecosse le confirme : il est grand temps que la préparation se termine, et que ce XV de France bascule dans la compétition. D’ailleurs, on peut égrener le compte à rebours avec les doigts. C’est bon signe. Car France-Ecosse, c’était le match de trop. Une heure durant, des Tricolores soucieux d’éviter la blessure sont montés dans un train de sénateurs. Ils avaient lu quelques heures plus tôt sur leur iPhone que les Gallois Leigh Halfpenny et Rhys Webb étaient sortis du Millennium l’un avec le genou et l’autre la cheville dans la boîte à gants. Et craignaient sans doute, en mettant trop d’engagement dans le combat face aux Calédoniens, de regarder à leur tour le Mondial devant leur écran plat.
Pour peu qu’on soit licencié rugby, on pouvait se procurer un billet pour cinquante centimes d’euros sur le site d’une FFR soucieuse de remplir le Stade de France. On ironisera – c’est toujours très facile et à la mode – en indiquant que pour une fois le contenu du match correspondait au prix du ticket d’entrée. Rien à voir, puis une combinaison qui déboucha sur l’unique essai bleu. On remarquera qu’à cet instant, Rémi Talès officiait à l’ouverture. De quoi lancer deux débats : sur le sens du mouvement – deux passes intérieures ; et sur la meilleure charnière possible pour ce XV de France.
Franchement, ce n’est pas l’essentiel. L’important est ailleurs. Dans le refus des Ecossais de s’embarrasser d’un match nul qui aurait pourtant si bien définit le contenu de cette rencontre surnuméraire. En allant chercher la victoire au-delà du temps réglementaire, ils nous interrogent sur la signification du rugby. Pour nous, c’est un jeu, ou une discipline. Dans le premier cas, les ballons filent à l’aile et la vie est belle. Dans le deuxième, ils restent au chaud et on s’ennuie ferme. En fait, le rugby est un sport. Et c’est sans doute par ce que nous passons à côté de ça que nous ne sommes toujours pas champions du monde.
«En rugby, nous ne les battons jamais. Mais de temps en temps, ils ne gagnent pas. Ça veut dire que tu peux l’emporter au score mais qu’ils ont une façon d’être qui est supérieure à la défaite.» Quand un crochet intérieur m’apparait utile, je relis cette formule de Jean-Pierre Rives (1). Le Blond y évoque les Anglais mais surtout leur état d’esprit. Celui que les Ecossais nous ont indiqué, samedi dernier, en ne tentant pas l’ultime pénalité. Leur défaite recèle un parfum de cricket. «Good game, chap. Well done, old sport».
Sport. Créé avec une once de légéreté pour faire du lien. Desport, variante de Déport, mot d’origine française vite incontrôlé signifiant amusement. Là, il faut plonger dans les écrits de Jacky Adole (2), à la rencontre des Ecossais. «Ils me donnent l’heureuse impression de ne pas vouloir tomber dans le même chaudron que les autres. Ils pratiquent modestement mais avec originalité un rugby directement issu de leur culture. J’ai plaisir à constater que, bien que battus quelquefois au score, les Ecossais ne le sont jamais au jeu tant ils donnent l’impression heureuse de s’amuser encore.»
On aime ce sport parce qu’en toute fin de partie, une pénalité jouée à la main nous ramène au prix de l’essence, quand tout indique qu’il faut botter. C’est sans doute ce à quoi pensait ce gaillard de William Webb Elllis en prenant la balle dans ses mains pour courir, au mépris des règles en vigueur au collège de Rugby il y a deux siècles de cela. Le rugby est un réseau d’abstractions et de paraboles, de quoi nous aider à cerner ce qui ne peut s’exprimer, écrivait-on. Un mythe actualisé à chaque percée. Ou bien tout simplement le socle du trophée.
D’Art et d’essais. Conversations avec Jean-Pierre Rives. Editions de La Martinière (2003). p.63.
Mon sac de rugby. Editions Atlantica (2002) p. 207.

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London calling

Surprise. Ce n’est pas une certitude et ce n’étaient pas des rencontres de référence, mais les deux adversaires du XV de France en match de poule de la Coupe du monde qui débute dans deux semaines en Angleterre ne sont pas au mieux. L’Irlande a été battue sur son terrain par les Gallois, bouffée devant et à l’impact. L’Italie a été ridiculisée par les Ecossais à Edimbourg. Il ne faut pas se réjouir du malheur des autres mais toute information est bonne à prendre.
Celles-ci nous indiquent que nos adversaires ne sont pas vraiment les épouvantails annoncés. Certes, attaquer le Mondial par l’Italie, son jeu brouillon, ses mains dans les rucks et sa mêlée embrouilleuse n’a rien de plaisant. Le XV de France manque toujours de rodage à l’entame. Mais là, visiblement, les Italiens manquent de tout. Deux matches de préparation, deux défaites face à l’Ecosse. On a trouvé des cailloux dans la pizza.
Au sujet des Irlandais, l’analyse est plus nuancée. Même englués dans un jeu de passes stérile, obligés de s’en remettre au seul pied de Jonathan Sexton pour contourner la défense, ils auraient pu l’emporter à la dernière seconde, l’arbitre vidéo refusant, justement, leur essai entre les poteaux sur un ultime rush bien mené. La faute à ce diable rouge de Leigh Halfpenny qui mit la main entre l’en-but et le ballon.
Attente. Vous aussi sans aucun doute vous attendez de savoir ce que va donner ce XV de France polymusclé, samedi soir, face aux Ecossais très remuants, lancés sans complexes par leur nouveau coach, Vern Cotter, adepte du « large-large ». Les coéquipiers de Dusautoir – enfin rétabli et aligné – vont devoir élever leur niveau de jeu, pour l’instant réduit à sa plus simple expression : crash test en mêlée et opportunisme. Ça a marché contre l’Angleterre engluée pendant une heure dans le pudding ; pas sûr que ce soit suffisant devant cette Ecosse qui ne perd pas le fil.
Dégout. Parce que la connerie n’a pas de frontière, de visage. Enfin si, samedi, elle ressemble à ce supporteur palois excité qui insulte l’ailier montpelliérain Timoci Nagusa au point que celui-ci, sorti sur carton jaune pour hors-jeu, décide d’aller se planter devant ce spectateur rendu muscat par le soleil du Béarn. En retour, il récolte une bordée de cris de singe. Sage, Nagusa fait demi-tour plutôt que de claquer l’idiot. Mais nous fait partager sa déception sur Twitter. On espère que les dirigeants de la Section Paloise interdiront l’accès du Hameau à ce raciste qui leur porte tort.
Voyage. Cette semaine, direction Londres, en attendant le clash Angleterre-Australie, pour voir si le Mondial commence à faire des rucks. Du côté de Twickenham et de Richmond, j’ai rendez-vous avec un ancien du terrible pack blanc, un pénible mais tellement attachant, un spécialiste des saillies et des rucks qui marquent. So… Let’s roll, folks.

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Tout un roman

On savait depuis longtemps où ça allait se dérouler : en Angleterre et à Cardiff. Maintenant, depuis dimanche midi, on sait avec qui on y va. Marcoussis était verrouillé comme un bunker à quelques minutes de l’annonce des trente-et-un, et ce n’est pas difficile tellement le CNR ressemble à un centre de détention. Le secret était bien gardé. Petit, le secret. Chiocci, Vahaamahina et Goujon allaient rejoindre leurs clubs respectifs pour la deuxième journée du Top 14, couru d’avance. Plus compliqué pour les deux autres. Même si Saint-André et Lagisquet n’ont pas eu beaucoup des doutes.
Guitoune arrière-ailier-centre, Fickou et Fofana ailiers-centres, Dulin et Huget arrières-ailiers… Rémi Lamerat a payé sa non-polyvalence, et son profil identique aux brise-lignes Bastareaud et Dumoulin. Ce qui fait buzz (on disait débat avant l’existence des réseaux sociaux), c’est surtout l’éviction de François Trinh-Duc. J’ai déjà donné mon avis et étayé mes explications par ailleurs. Juste ajouter qu’il est le seul à avoir déçu consécutivement deux coachs nationaux. Il y a donc bien quelque chose qui ne le rend pas indispensable en bleu.
La vie de cette liste est un roman, désormais.* L’aventure peut commencer. Parce qu’une Coupe du monde, c’est une traversée, avec ses tempêtes et ses mers d’huile, ses coups de gueule et ses coups de mou. Sept semaines où les caractères, même et surtout s’ils sont mauvais, réveillent le groupe quand il est assoupi, trop sûr de lui ou timoré, selon. Il faut de fortes personnalités, des leaders, des déconneurs mais surtout des gros cœurs. Pour s’envoyer sur la ligne de front, ensemble, solidaires. Pour susciter de l’émotion, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’équipe. Des mecs qui veulent transmettre.
En attendant, PSA est à l’heure au premier rendez-vous qu’il avait fixé. Battre l’Angleterre au Stade de France le 22 aout. C’est fait. 25-20. Soixante minutes bleues, dix minutes blanches et un petit remous au milieu. Beaucoup de stress sur la fin. Il ne fallait pas que ça dure une minute de plus. J’ai pris beaucoup de plaisir sur l’essai bleu. Passage intérieur de Michalak – monsieur records -, jaillissement d’Huget dans le dos, cad-deb’, accélération, raffut et plongeon. 
Il reste quelque chose de frustrant – le mot est faible, mais je choisis le moindre – à l’issue de ce week-end et en attendant le prochain. En tant que Rochelais, emmailloté de l’âge de 7 ans jusqu’à mes 18 ans, éduqué rugbystiquement par MM. Puyfourcat, Bas, Courthès, Mabillon et Gallo sur le terrain annexe de Deflandre (du béton à l’automne, un bourbier en hiver), puis à La Grenouillère. L’essentiel de ce que je sais sur le rugby, je l’ai appris au Stade Rochelais.
Alors entendre ces tribunes sur lesquelles j’ai posé mes fesses siffler leur équipe dès qu’elle a eu les crampons dans la vase, soit au bout des vingt premières minutes de la saison, puis l’ensevelir sous une énorme bronca après un naufrage à quarante points, ça m’a filé la honte. Honte d’être rochelais. Des pseudos supporteurs que ceux-là. Sans parler d’une équipe avec seulement quatre gamins du centre de formation, un agglomérat mal joint qui a perdu l’ADN du club (combat, solidarité, pugnacité) durant l’été. Ça fait mal au belou de Laleu que je suis. Le Stade Rochelais serait-il devenu un club pro comme les autres ? En tout cas, je me pose trois questions : il vaut mieux 7 000 passionnés et connaisseurs en ProD2 ou 15 000 voyeurs vociférants en Top 14 ? Au risque d’y perdre son âme ? Et au final pour quel bénéfice, quel lien ? Faustien.
* «La vie de Liszt est un roman», remarquable ouvrage écrit par Zsolt Harsanyi. Pour ceux qui apprécient la littérature et la musique classique. Un de mes coups de cœur.

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Un poil trop court

Samedi c’était rugby. Solide, ce quinze août. La température monte et à quatre semaines du Mondial, pour le coup, si les tendances se dégagent elles n’indiquent pas toutes la même direction. Que retenir ? Qu’une grande équipe ne commet jamais deux fois la même erreur. Et qu’une nation de milieu de tableau est incapable de rééditer un exploit. C’est ce qui fait que les Néo-Zélandais et les Sud-Africains se retrouvent en pole position. Ils n’ont pas course gagnée pour autant mais avoir quelques mètres d’avance, ça ne fait pas de mal, se disent-ils.
Battus par l’Australie et l’Argentine, All Blacks et Springboks ont su renverser la situation et sortir de ce week-end en vainqueurs. Pas tant sur le score que sur le fond. Ils ont retrouvé leur rugby quand les autres prétendants -Australie, France, Angleterre – n’ont pas encore sécurisé, totalement ou partiellement, le leur. Ils ont su soigner parfaitement les petits détails avant de s’emballer pour les grandes options. C’est ce que disaient Richie McCaw et Heyneke Meyer la veille de leurs tests respectifs.
McCaw devait récolter des lauriers à l’issue de la Bledisloe Cup, gagnée ou perdue. Il a ceint la couronne, le trophée dans les mains. A lui le record du monde des sélections, de toutes sélections, parce qu’on sait que les Anglo-Saxons aiment compliquer les choses. Porter le maillot national ne suffit pas, ils ajoutent aussi les Lions britanniques et d’Irlande. Je pensais que George Gregan détenait le précédant record (139 apparitions avec l’Australie) et bien non. C’est Brian O’Driscoll qui présentait l’addition (142 en comptant 8 matches avec les Lions).
Meyer, lui, en avait gros sur la patate. Traité de « raciste » par quelques membres du Congrès des syndicats sud-africains, trahi par cinq de ses joueurs noirs et métis – on n’a pas cherché à avoir les noms -, jugé coupable de ne pas sélectionner selon la couleur de peau et de faire confiance à ses meilleurs joueurs au point d’aimer aligner son équipe type à (presque) tous les matches, il a (dé)montré à ceux qui préfèrent séparer que réunir qu’il est possible de vaincre sans se renier, d’envoyer du jeu et d’assumer ses convictions.
Des convictions, je ne suis pas persuadé que le XV de France, en possède beaucoup après cette défaite, la énième, à Twickenham face à une équipe anglaise bis expérimentale. Du muscle ils en ont fait, les Tricolores. Du gras ils en ont perdu. Pour ça, soulever de la fonte, frapper du pneu, griller des calories à vélo en allant chercher des watts comme Froome. Mais sur le bout des doigts, dans les mains, dans le regard qui précède la passe, dans la course sans ballon, la défense en bout de ligne, dans le plan de jeu, qu’ont-ils ?
Ce n’est pas en plaçant trois arrières en fond de terrain qu’on construit des relances et qu’on verrouille les espaces le long de la touche. Dulin a pris un cad-deb qui va le hanter longtemps, Fickou a défendu comme un centre exilé et d’un petit par dessus les Anglais se sont ouvert la zone extérieure. Trois essais encaissés, un seul marqué, en force et en supériorité numérique. « Le monde à l’envers », ironisait Start Barnes, l’ouvreur anglais de poche devenu commentateur, ami du French Flair et curieux de nos ballons portés qui, s’ils ne sont pas ces horribles ballons par terre, ressemblent au rugby de moissonneuses anglaises (Leonard, Richards, Skinner, Dooley, Ackford, Teague) modèle 1991. Cela dit, si ça peut nous envoyer en finale contre l’Australie, hein ?

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L’origine du maul

Et c’est toujours en été. Le tour est passé, la fonte bouge. Le ballon ne circule pas encore et c’est W qu’il faudrait lire. Un souvenir d’enfance à la plage. Surtout si c’est à l’autre bout du monde. Le jeu se prépare aux biceps et au forceps dans le huis clos de Marcoussis en suée. Jusqu’à la nausée. L’existentialisme ovale n’est pas (encore) un humanisme, contrairement à. Il faudra attendre le coup d’envoi.
Justement, pour patienter – moi, ce sera en carlingue vers Durban, puis entre le Cap et Johannesburg -, vous sans doute en transat, je vous propose un avant-goût de la French Touch en «pure laine vierge peignée», si l’on en lit l’introduction, et jamais mot ne fut mieux choisi. Un ouvrage sur le dopage dans le rugby ? Dépassé. Sur les trafics d’influence, les magouilles financières ? Ringard.
Le livre qui va faire parler, cet été – jusqu’au 21 septembre, le lendemain de mon anniversaire – est d’une autre saveur. Il aurait pu être préfacé (si son auteur non dénué d’humour y avait pensé mais il n’est pas trop tard) par l’ancien deuxième-ligne international basque Jean Condom tellement les allusions sont légères, les regroupements virils et, finalement, l’ensemble correct. Une gageure compte tenu du sujet : le dégagement…
A la suite d’Henry Miller et de sa trilogie en «us» et en rose, bien après Max et les phagocytes, Alain Gex, ancien de l’AFP, compagnon débridé de tournées et de Tournoi aujourd’hui retraité, livre un recueil bien allongé d’alcôves et de percées aux éditions Robert Laffont. Le livre qui manquait pour finir de désacraliser les valeurs du rugby. Le titre ? Ce n’est pas Ma mauvaise réputation (déjà bien pris par M. Boudjellal), ni Totem et Tabou, même s’il faut parfois passer par le divan.
Sexus Rugbysticus paraîtra le 7 septembre. D’ici là, je vous en verserai quelques gouttes. Première saillie à mon retour d’Afrique du sud, le 18 août. Pour ce que j’en ai déjà lu – épreuves non corrigées, ce qui est un comble au donjon – ils sont cités : mon frère Claude, l’oncle Sam, Pierre et Bernard, Jean-Pierre, Serge, le Duc et signé Furax… Mais pas qu’eux. Internationaux, dirigeants, journalistes, sponsors, supporters : tous voudront d’urgence savoir s’ils ont été sélectionnés. Ce florilège de libre pensée n’est pas un essai mais bien un débordement majuscule. Et chacun de pointer dans l’en-but.
Un extrait bio pour patienter durant votre régime EPO (eau-pastis-olives) pendant que les Tricolores de Dusautoir transpirent dans l’étuve puis se glacent au cryo avant de se sustenter de peu sans même avoir droit au ballon ? Allez, page 197 : «Sucette a ainsi reçu quelques trois cents connaissances venues de l’Aude et des environs. Philippe et sa suffragette, Erik, Laurent et Jean-Pierre (j’ai enlevé les noms, sait-on jamais, les épreuves ne sont pas corrigées, ai-je dit) ont donc savouré les spécialités du cru (nous sommes au Brésil) dans le cadre de l’option A (plage, cocktails, tourisme et churrasqueria). Plus rares, mais davantage accros, les amateurs du plan B  (je vous laisse deviner, nous sommes au Brésil, dont) ont pu fausser compagnie à leur dulcinée grâce au fallacieux Tournoi des vétérans intitulé «Dans le cochon, tout est bon» que Sucette organise avec le concours de (bip, car là, le prénom compte double), fournisseur des précieux équipements Adidas, et qui a réuni un temps jusqu’à dix-sept formations, dont certaines venues d’Espagne et d’Uruguay.»
D’ici là, vibrez plus grand. Tot weersiens, wederdom…

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Restez en quinconce

Vous connaissez le positionnement en diamant, quand le porteur a trois solutions pour passer son ballon : une de chaque côté et une derrière. On appelle aussi cette structure le bloc. L’attaque à plat, lancée par la famille Peuchlestrade à Aurillac. Et celle en profondeur qui date de René Crabos dans les années 20 d’un autre siècle. L’axe (y compris le profond), le large, et même le «large-large», les rideaux (au nombre de trois)… Je vous laisse le soin de compléter cette géométrie.
Pour ma part, avant de rejoindre Valencia, via Sarlat et Lannemezan, couper avec l’ovale avant de partir en Afrique du sud sur les traces du springbok, j’ai découvert le placement en quinconce début juin. Dix internautes regroupés autour de l’attaque du plat principal, avec un demi pour ouvrir le «je», vite devenu un «entre nous» sans jamais cesser de rester ludique pour le plaisir de tous.
A l’ombre d’un bistot bordelais place des Quinconces, internautes de ce Côté Ouvert à toutes les initiatives, intercalés dans la ligne, prêts à la relance épistolaire, venus de (presque) partout pour (se) découvrir et partager anecdotes et mets, ils étaient sortis avec un plaisir non dissimulé du monde virtuel, celui des pseudos bémols, lequel transmet trop de virus : harcélement, découpe au fendoir ébréché, aigreur, jalousie, rumeur…
Landais, Pays, Lethiophe, Le Boeuf, Georges, Tautor, Pomasson, Eric, sans oublier Benji et Benoit venus nous rejoindre en impact players après le coup d’envoi, vous allez accompagner et alimenter à découvert ce blog jusqu’à mon retour, et avec vous Christian (Badin), Antoine, Zarmou, Gobetwen (Gariguette), Chriseus, Philippe, Charles, Fabre, Allan, Jan Lou, Sergio, François, Rémy, Béarn, Emmanuel, Kudekask, Odilon, Daniel, Boine, aussi Baptiste, Mickaël et tous les autres.
Ce blog est notre village, désormais. Il appartient à chacun et à personne. Je n’en suis que l’initiateur et l’animateur. S’il est de qualité, lu et apprécié, vous y êtes pour beaucoup. Nous étions dix à Bordeaux, sans doute serons nous davantage la prochaine fois. Où ? On ne sait pas. Nous verrons en temps utile. D’ici là, gardez la maison ouverte, l’oeil aussi et le bon. Car l’heure est malheureusement autour de nous à l’éthique étique.
Cet été sera Super Rugby, Four Nations, rassemblement à Marcoussis et stage en altitude. Paris a remporté le sien avec une jeune génération rose ; Clermont s’est une nouvelle fois perdu avec une ossature bleu-blanc-jaune. Vincent Etcheto viré en cinq minutes chrono, vengeance tardive, après avoir vendangé le bordelais de la bouillie au millésime. Une place à Toulouse, centre ville, dédiée à Guy Novès. Le rugby est à la fois en fusion et à marée basque. Vigilance, donc. Heureusement, comme l’écrivait Philippe Manhes sur Twitter, «un homme azerty en vaut deux». Bonnes vacances.

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Ceux qui tombent

Samedi, soir de gloire, sacre des vainqueurs, des champions, des héros qui vont soulever le bouclier et dormir avec. Samedi, soir de finale. De titre. En parlant de titre (re)sort l’ouvrage de Denis Charvet, «La dernière passe», aux éditions du Ballon Carré. En sous-titre : «Aucun trophée, aucune médaille, ne valent une vie.» Il suffit de repenser à Geoffrey, cet ailier d’Abadie issue d’une famille de premières lignes, se jetant du haut de son immeuble. De penser à ceux qui tombent.
Le week-end dernier, à Bordeaux, place de la Victoire, un autre ailier du Stade Français, Raphaël Poulain, cheval de trait taillé comme un flanker, animait des séances d’initiation au jeu pour les plus petits. Raphaël Poulain a laissé une épaule, un bras, un testicule et un genou sur les terrains du temps de sa splendeur, au début des années 2000, quand le rugby est devenu professionnel. Il a failli choisir d’abréger son existence.
Denis et Raphaël ont eu la chance de sublimer leur mal-être dans l’art : théâtre, cinéma, littérature. Jean-Pierre Rives évoque la petite mort du sportif quand tout s’arrête et qu’il faut vivre avec soi-même quand les autres s’éloignent du ballon, qui n’est jamais que la métaphore rebondissante du vivre ensemble qui se dégonfle parfois. On pourra lire l’ouvrage signé Bastareaud, «Tête haute», lui aussi publié ces jours-ci ,qui évoque la dépression, l’alcool, le suicide. Ou celui de Christophe Dominici, «Bleu à l’âme», tombé avant lui. Mettre en perspective l’arrêt de carrière de Geoffroy Messina et sa crainte d’avoir à utiliser un fauteuil roulant. Se souvenir surtout de Marc Cécillon, livré à ses démons jusqu’à commettre l’irréparable pour les autres et pour lui.
Ce qui caractérise le rugby, sur le terrain, c’est le soutien. Celui qui sera le premier à protéger un partenaire qui tombe au sol, l’aider à conserver le ballon, gardera la maîtrise du jeu. C’est transposable hors du terrain, et c’est ce qui donne plaisir à se revoir une fois cette jeunesse terminée. Pour tout ce que l’on a partagé. Et souvent sans avoir joué ensemble. C’est aussi pour cette raison, le soutien, que le Stade Français part avec un avantage sur Clermont, samedi. Pour l’emporter comme en 1998. Geoffrey est sur la photo d’équipe. Allongé devant le bouclier. Il ne s’en est pas relevé.
Depuis deux ans, Raphaël Poulain, redressé, se bat pour trouver un financement à hauteur de 50 000 euros. C’est le salaire mensuel d’un international de rugby. Cela lui permettrait de tourner le documentaire qu’il porte en lui et dont le titre est : «Les héros meurent jeunes». Il cherche juste un diffuseur. Son idée ? Traverser la France du rugby, de Marcoussis à Capbreton, de l’usine à champions jusqu’à la tranchée des grands blessés, pour recueillir des témoignages et adresser le sien. Vital.
Il m’a dit : « Ce n’est pas vendable parce que documentaire dérange.» Il dérange parce qu’il parle de blessure, au sens de fêlure, celle de Fitzgerald en crampons ; de faiblesse, «d’aveu de faiblesse» Et ça ne branche pas «un milieu qui fantasme les héros» avec chars romains, ballon descendu du ciel, sylphides soyeuses et colosses huilés pour honorer Brennus multi-diffusé. Mais rien de trébuchant pour soutenir un documentaire sur l’enfer de ce décor.
Chacun pleure les disparitions, prématurées, d’êtres chers. Mais qui regarde autour de lui et se place au soutien des détresses ? Qui pour étayer avant que quelqu’un tombe ? Combien de burn-out ovales ou autres faudra-t-il avant qu’une loi se penche sur l’après plutôt que sur le pendant du sportif professionnel ? Que dire aujourd’hui à Raphaël et à tous ceux qui sont tombés et n’ont trouvé que quelques mains secourables pour les relever ? Que le rugby n’est qu’un sport sans prolongements ? Que les héros aux idées noires doivent nécessairement partir jeunes, quand bien même ils ne se prénomment pas Geoffrey ou Jerry ?
En marge des grandes messes ovales dans des stades gigantesques situés en zones industrielles bétonnées, au son de fanfares préfabriquées, sous des écrans géants qui donnent l’impression que le réel se virtualise, le rugby ne s’aperçoit pas qu’il est à la croisée de son histoire. Passe encore que mille crétins sifflent Bakkies Botha pour sa der, qu’un quarteron d’irascibles twittos en mal de reconnaissance harcèle tout ce qui dépasse et surtout les dépasse. On s’en accommode.
Mais quand chutent les idoles, quand ceux qu’on envoie plein fer, tête baissée, muscles saillants, commotion assurée sur cette ligne de front qu’on appelle d’avantage perdent trop, trop vite, trop jeunes ; quand les signaux clignotent ensemble, coïncidence troublante le week-end dernier, il est temps d’aller au soutien plutôt que de rester spectateur. Nous aurons très vite à répondre à cette question, et pas seulement pour le rugby : qu’avons-nous fait alors que nous savions ?

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