Seuls contre tous


Cette première ligne est facile à écrire dans la mesure où elle traite de la mêlée. Il y a deux façons d’aborder le problème en version bleue, secteur de jeu que l’on a vu lourdement sanctionné dans ce Tournoi. Par la face frontale, à l’impact, pour tenter de faire fléchir l’IRB. Ou par des voies plus subtiles, moins pénalisantes pour le pack du XV de France.
Yannick Bru, l’adjoint tricolore chargé des avants, se gratte la tête et avec lui le staff, les joueurs et une partie du public, celle qui a poussé un peu, mis des coups de tronche et s’est frictionné le dos au Dolpic. Il y a de quoi s’interroger, effectivement. Comment peut-on passer d’une mêlée dominatrice face l’Angleterre en début de Tournoi à l’obligation de sortir son pilier gauche à la mi-temps, sous la menace d’un carton jaune, face à l’Irlande, samedi dernier ?
Car enfin, c’est une première ! Domingo remplacé par Debaty, décision prise dans le vestiaire pour ne pas risquer l’expulsion temporaire, l’infériorité numérique, tout ça parce que l’arbitre, M. Walsh, a prévenu le capitaine Papé qu’à la prochaine mêlée écroulée, il allait sévir… Incroyable. L’arme fatale tricolore, celle d’Alfred Roques, de Robert Paparemborde et de Jean-Pierre Garuet, soumise par le règlement, sommée de s’incliner à force de pousser plus bas que l’adversaire.
Un siècle de tradition, de sueur et de côtes fêlées, de bosses sur le front et d’arcades ouvertes, de reins pilés et d’épaules en travers, de positions des pieds et de vertèbres tassées mis à mal parce qu’il faudra, désormais, que cette épreuve technique, ce combat collectif, cette zone d’affrontement, devienne une simple remise en jeu limpide. En édulcorant ce qu’il y a de plus rugueux, le rugby s’avance encore un peu plus vers le sport spectacle, vous pourrez dire : «Je l’ai vu, c’était lors du Tournoi 2014 !»
Il s’est passé la même chose en touche en 1995 au sortir de la Coupe du monde quand le soutien aux sauteurs a été autorisé, l’ascenseur validé, les triptyques construits dans l’alignement. Cette phase de jeu brouillonne et parfois totalement anarchique est devenue claire. Le combat, souvent violent, difficile à arbitrer, est monté à trois mètres de haut, sortant de la fondrière. Tout le monde, aujourd’hui, y trouve son compte.
La mêlée, sans doute, va devoir vivre sa révolution. Si le XV de France souffre aujourd’hui d’une forme d’incompréhension, la solution passera par ses clubs d’élite. Début avril s’avancent des quarts de finale. Les mêlées de Toulouse, de Toulon et de Clermont en Coupe d’Europe, mais aussi celles de Brive et du Stade Français en Challenge européen, vont être scrutées, c’est à parier.
Epaules hautes, introduction droite, poussée rectiligne, talonnage rapide, éjection immédiate : la mêlée est désormais en phase de normalisation. Considérés irréductibles, les Français auraient tort de croire qu’ils peuvent lutter face à un mouvement international qui tend, depuis vingt ans, à polir petit à petit les surfaces rugueuses et abrasives du combat collectif. Peut-on avoir raison, seul contre tous ?

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Succès à effacer


Il ne reste plus que l’Irlande pour nous redonner le sourire. L’Irlande, oui, mais seulement en cas de victoire. Et encore, ce n’est pas certain. Regardez ce qui tombe sur l’équipe de France après sa victoire à Edimbourg. Etriquée, miraculeuse, mais victoire quand même. J’en connais, des internationaux français de renom, qui auraient pourtant bien aimé l’emporter, même petitement, sur la pelouse boueuse de Murrayfield.
Mais ainsi va le rugby. Un public peut se lever pour une défaite et râler après un succès. Le score reste sur les tablettes quand tout est terminé depuis longtemps mais il ne raconte rien, finalement. Ou si peu. Il n’est pas obligatoirement ce que l’on vient chercher en match international. Il ne génère ni passion ni enthousiasme, sauf peut-être s’il s’agit d’une finale de Coupe du monde.
Battre les Anglais à la dernière seconde par un essai grand style, se débarrasser des Italiens en douze minutes et l’emporter à Murrayfield, voilà qui aurait fait, sans aucun doute, le bonheur de nombreuses équipes de France qui virent leurs Tournois se terminer dans les affres. A commencer par le XV de France version 2013 enfoncé, l’année dernière, dans un Six Nations de sables mouvants.
Le résultat n’est pas tout, donc. Ainsi, on ne joue pas pour gagner. Pas toujours, en tout cas. C’est vrai, je l’avoue, il n’y a pas grand-chose à garder d’Edimbourg. Une interception et une dernière action, bonifiée par un but de pénalité. Juste assez pour l’emporter. Mêlée, touche, attaque, défense, animation, jeu au pied ? Rien. Mis à part, allez, soyons magnanime, une relance, un grattage et un ruck, le dernier.
En 1982, le XV de France, tout aussi exsangue que celui-ci, à court d’idées et de puissance, battu partout – à Cardiff, puis par l’Angleterre au Parc des Princes et l’Ecosse à Murrayfield – un XV de France pourtant fort de Blanco, Rodriguez, Rives, Dintrans, Dubroca, Joinel, un XV de France entraîné par Jacques Fouroux, allait disputer son dernier match à Paris face aux Irlandais pour s’éviter une cuillère de bois, lesquels hommes en vert s’avançaient, eux, pour décrocher le Grand Chelem dans le sillage de leur ouvreur-buteur Ollie Campbell.
Pour s’opposer aux vieux guerriers, Fouroux avait rappelé ses briscards : Revailler, Paparemborde, Dospital et Imbernon devant ; derrière, Gabernet, Mesny, Fabre et Berbizier, du solide, du musclé. Pour l’emporter, 22-9, marquer deux essais à décoiffer James Joyce et renvoyer McNeil, Kiernan, O’Driscoll (déjà), Slattery, Lenihan, Keane, McLoughlin, Fitzgerald, Orr et tous les pénibles de la verte Erin vers Parnell Square en express.
On voit mal, en cette époque de groupe des trente, PSA convoquer dans l’urgence d’un match à gagner Morgan Parra et François Trinh-Duc pour reformer une charnière au nom de l’union sacrée et de la patrie en danger, sortir Lionel Nallet et Sébastien Chabal de la routine de leur ProD2 le temps d’un hymne et appeler hors de leurs retraites Aurélien Rougerie, Julien Bonnaire et même William Servat – qui pigeait il y a peu pour Toulouse. Sans parler d’Imanol Harinordoquy, Romain Millo-Chluski, Fabien Barcella, Frédéric Michalak, Jean-Baptiste Poux, Fabrice Estebanez, Arnaud Mela, Lionel Beauxis, Dimitri Yachvili, Julien Puricelli et toute la compagnie des glorieux.
Non, il a juste retenu le toujours un peu blessé Dimitri Szarzewski, l’ex-convalescent Bernard Le Roux et le puni Louis Picamoles. Cela dit, ami(e)s internautes, que faire de plus et de mieux quand votre troisième-ligne centre remplaçant, Antonie Claassen, décide en plein Tournoi qu’il est préférable de poser une semaine de RTT pour se marier en Afrique du sud plutôt que de se faire pourrir la vie à Marcoussis, qui plus est en chambre double ?
Le rugby d’aujourd’hui ne laisse aucune place à l’épique. Imaginez un instant cette victoire à Murrayfield commentée par Roger Couderc, magnifiée ensuite par Denis Lalanne. Et pas de vidéo pour repasser les passages à vide. L’interception d’Huget aurait les accents de Bayard ; la dernière action, celle du but de pénalité la beauté d’un chant de cygne, désespéré, se muant en succès. Je sais, je m’égare. L’ère est au sms, au twitt, au clic ; à l’instantané et au replay ad lib. Un succès à Murrayfield ? Ctrl. Alt. Suppr.

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Quatre nuances de bleu

Oui bien sûr ça ne marche pas fort en ce moment. Au classement mondial, la France n’émarge qu’à la dixième place, derrière les Samoa, l’Argentine, le Canada et le Kenya, talonnée par le Pays de Galles. Son budget de fonctionnement ? 4 millions d’euros. Soit dix fois plus qu’à l’époque où elle bricolait gentiment sous la souriante férule de Thierry Janeczek. Et pour les mêmes résultats sportifs.
Ah pardon, je n’ai pas précisé mais vous l’aviez compris, il s’agit de l’équipe de France de rugby à 7. A deux ans des Jeux Olympiques de Rio, où cette discipline sera pour la première fois invitée, l’écart semble impossible à réduire entre ces Tricolores-là et les ténors que sont les Néo-Zélandais, les Sud-Africains, les Fidjiens et les Anglais, lesquels se partageront au Brésil, c’est certain, les trois médailles mises en jeu.
Les 22 et 23 mars, les coéquipiers de Vincent Deniau seront au Japon, pour la sixième étape du championnat du monde, l’IRB Sevens. On pourrait commencer à connaître leurs noms et il y en a de fameux : l’ailier international Julien Candelon, Jean-Baptiste Gobelet, Vincent Inigo, Julien Saubade et Paul Albaladejo, qui porte un sacré patronyme. Mais comme ils ne gagnent pas, ils peinent à exister et sont repoussés à la marge des médias, juste à la rubrique résultats.
En revanche, il y en a deux, des XV de France, qui gagnent : les féminines et les moins de vingt ans. Victorieuses de l’Angleterre (18-6) puis de l’Italie (29-0), les coéquipières du talonneur (de la talonneuse?) Gaëlle Mignot ont poursuivi leur marche en avant face au Pays de Galles, 29-0. Sandrine Agricole, Coumba Diallo, Marine De Nadaï et Marie-Alice Yahé – vous avez au moins une fois entendu parler d’elles – sont à deux succès d’un possible Grand Chelem qui devrait être scellé le 14 mars, à Pau, face à l’Irlande. A l’heure de la parité, peu de cas est fait de leur épopée.
Pis, la Coupe du monde féminine, qui marquera l’histoire des Bleues, se disputera au mois d’août dans l’intimité de Marcoussis, sur des terrains qui ne seront pas tous bordés de tribunes. L’Essonne en août ? Un désert. Pas l’endroit idéal pour valoriser des Tricolores qui gagnent, quand des milliers de supporteurs potentiels en vacances au bord de mer, à Biarritz, Bayonne et Saint-Jean de Luz, Montpellier, Nîmes, Narbonne ou Perpignan, La Rochelle, Royan, les Sables d’Olonne ou Nantes, auraient eu l’occasion de les encourager.
Sans bruit, au CNR, un manager fait son nid. Fabien Pelous encadre les moins de vingt ans. Vingt-deux heures après le fiasco du Millennium, les Bleuets ont battu les vice-champions du monde, 19-10. Ils sont invaincus, eux aussi. Et visent, là encore, un Grand Chelem. Le demi de mêlée bordelais Baptiste Serin, le talonneur biarrot Romain Ruffenach, le deuxième-ligne clermontois Jean-Baptiste Singer, le troisième-ligne aile toulousain Yacouba Camara et son coéquipier François Cros, capitaine de la sélection, s’illustrent dans l’antichambre.
Alors plutôt que de fustiger la formation à la française, de croire qu’il n’y a rien à tirer du modèle fédéral, d’assurer que les petits porteurs de casque ont des œillères et de penser à jeter le bébé avec l’eau du bain parce que la bande à Papé est passée à travers à Cardiff – ce n’est pas la première fois qu’un XV de France se fait piétiner sur l’air de Land of my Fathers, n’est-ce pas Jean-Pierre Rives ? – j’ai envie bien passer par Galashiels et Bonnyring.

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Affiche complet


Nous ne sommes pas obligés de choisir entre l’orgie et le plaisir. Même si je vois mal comment il est possible d’associer les deux, du moins en ce qui concerne la forme qui nous occupe ici, à savoir la balle ovale. Si vous parvenez à savourer d’affilée et parfois ensemble douze rencontres en quarante-huit heures chrono et presque non-stop, en commençant par Galles-France vendredi 21 h pour finir par Pau-Tarbes, dimanche, à 20h30, s’il n’y a pas trop d’arrêts de jeu, je serais curieux de savoir comment vous avez pratiqué.
Tournoi des Six Nations, Top 14 et ProD2 additionnés sur l’écran, voici l’occasion de reprendre ici l’idée d’un internaute venu commenter sur ce blog, et de partager quelques sensations. Pas d’analyse savante, non, juste l’envie d’évoquer du jeu, d’élire la et les équipes en fonction d’une grille de lecture trop souvent oubliée : celle qui ne calibre rien et ne parle que d’émotion.
Alors qui, de l’Irlande, de l’Angleterre, de la France ou du Pays de galles va nous égaler, vendredi et samedi ? Italiens et Ecossais vont-ils lâcher les fauves à Rome ? Le jeu sortira-t-il vainqueur de ces joutes, troisième journée du Tournoi, moment charnière qui fait basculer les uns vers quelques sommets et tomber les autres du haut de la roche Tarpéienne ?
Montpellier et Clermont, deux façons abouties et pas si éloignées de magnifier les passes, auront-ils assez de ressources pour proposer samedi en début d’après-midi la fête des sens attendue ? Bordeaux et le Stade Français que l’on n’attendait pas si vite sur une telle ligne d’attaque peuvent-ils continuer, en début de soirée, à montrer le volume ?
Ce sera Saturday Night Fever à Pierre-Antoine ? Ce duel fratricide entre le champion de France et celui qui collectionne les titres se dessine en creux, car il y a de quoi composer une équipe de France avec les absents, sélectionnés, des deux côtés, mais il peut faire vibrer une région. Pour peu que se libèrent les tensions à la lecture du classement.
Dimanche, c’est fermé, disent les Anglais. Chez nous, c’est ouvert. Du moins on l’espère. Toulon se déplace à Jean-Dauger. Rien que le nom du stade incite à l’offensive. Jean Dauger, l’icône, le père du jeu à la main, l’inventeur du cadrage-débordement, rencontré un jour de 1984 au gymnase Lauga, en contrebas. Toulon avec Giteau, sans doute Mermoz, Wilko, Smith, les Armitage, Mitchell : il aurait aimé, Manech, les voir s’envoyer, libérés, émancipés de tout carcan tactico-stratégique…
Last but not least, Mont-de-Marsan contre Lyon à Guy-Boniface – là aussi une légende – puis refermer ce week-end de fous par Pau-Tarbes au Hameau. Parlons-en, justement, de la Pro D2, avec Agen, La Rochelle et Narbonne : elle sonne vintage, un peu mieux chaque journée qui passe.

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Bhashtag


Etait considéré comme fameux (on disait plutôt faire sa vedette) à l’époque où le ballon était en cuir avec deux bouts noirs celui qui pouvait chanter (même faux, n’est-ce pas Jo Maso ?) dans une émission de télévision animée par Jacques Chancel, aux côtés de Hugues Aufray, Johnny Halliday, Marcel Amont et Sacha Distel, impact-players des troisièmes mi-temps rue Princesse.
Lorsque le sport français a conquis la planète en mondovision porté par une génération dorée, il fallait tout le panache blond de Jean-Pierre Rives, et même un peu plus, pour faire – une première dans le rugby – la couverture glacée des magazines people et tenir son rang dans le cœur du grand public, à l’égal d’Alain Prost, de Yannick Noah et de Michel Platini, excusez du peu.
Puis c’est en s’improvisant mannequin et défilant pour divers couturiers de renom que Frédéric Michalak a repoussé les frontières de la notoriété ovale. Il est allé là où personne n’avait osé marcher avant lui, portant diamant à l’oreille, enregistrant ses propres compositions à la guitare, soutenant des opérations caritatives.
Survint ensuite l’ère Sébastien Chabal, celle d’internet, des montages vidéos sur sites saturés de métal hurlant. Plus de trois millions de visites pour deux claques assénées aux All Blacks lors d’une tournée grand guignol. Chabal devenu l’icône de la ménagère de moins de cinquante ans, égérie de la Coupe du monde 2007 retransmise par TF1, cette chaîne qui «vend du temps de cerveau humain disponible», dixit M. Le Lay, son ex-directeur.
Nous sommes aujourd’hui dans la période Twitter, cet infra-message de 140 signes balisé de hashtag – ça ne se fume pas. Dimanche, Mathieu Bastareaud a été détourné en idole de la blogosphère par la grâce d’une passe allongée sortie de son contexte, transformé en serre-livre, en toréador, en danseur de claquettes, en joueur de harpe, en astronaute, série en cours. Drôle et rafraîchissant.
La veille de France-Italie, après le petit déjeuner, il s’est laissé prendre au jeu et en photo dans le couloir de Marcoussis, devant sa chambre, oubliant l’interdiction faite aux joueurs du XV de France de twitter pendant leurs séjours dans l’Essonne. A la fin du match, gagné, au moment de célébrer le trophée Garibaldi, vingt kilos de ferraille sculptée par Jean-Pierre Rives, si, si, celui qui posait pour Paris Match avec un coq dans les bras en 1981, il a remis ça.
Dimanche, chaque fois qu’il a touché le ballon – à sept reprises – Bastareaud a été salué d’un râle. Le Stade de France a voté, pouce levé : il le veut en bleu pour le voir foncer droit et emporter deux adversaires, parfois trois, au jeu de culboto, qui s’apparente de loin au rugby. Sur l’une de ces charges, Fofana a ramassé prestement le ballon pour s’en aller marquer. Sur les six autres, il ne s’est pas passé grand-chose, à part que l’attaque française s’est arrêtée – là où Basta est tombé – avant de repartir, mollement.
Pendant ce temps, Gaël Fickou piaffait en tribune. Il n’est entré en jeu qu’à la 73e, une fois l’équipe de France réduite à treize. Fickou-Fofana. Cette association de centres, j’en rêve. Je ne suis pas le seul. Alors si les geeks mobilisent la technologie contemporaine au service d’un mange-ballon, il serait peut-être temps que les amoureux du beau jeu se fassent entendre. Par quel moyen, quel support, quel réseau social ? Je n’en sais fichtre rien. Mais au moins faire écran.

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French Flair

Ça n’a pas manqué. Dès le lendemain de France-Angleterre, j’ai eu droit à mon petit sermon matutinal sur la pertinence de ressortir dans L’Equipe (n°21 750, page 5) l’expression French Flair. Car il y a bien, dans le rugby, deux univers qui se côtoient mais se séparent au premier cadrage-débordement : ceux qui y croient et ceux qui n’y croient pas. Comme chez Aragon.
Plus segmentant que la controverse de Valladolid vous trouverez le French Flair. Certains athées peuvent, éventuellement, se laisser aller à considérer l’existence du divin – « au cas où, sait-on jamais ? » – dans un moment de doute en fin de vie mais concernant le French Flair, rien de cela. La dichotomie fait office de pesée. Il existe ou pas. Et il n’y a rien entre les deux.
Euclide écrivait : « Ce qui peut être affirmé sans preuve peut être nié sans preuve ». Une tournée du XV de France en Nouvelle-Zélande ou en Afrique du sud avant l’ère de la toute-puissance télévisuelle, par exemple, ne recèle d’épopée que sous la plume gorgée de souffle d’un Denis Lalanne et il faut boire cette encre, ce que nous sommes nombreux à avoir fait, pour nourrir notre imagination sans laquelle rien ne vaut d’être vécu ni rêvé.
Sans remonter au 14 juillet 1979, Bastille Day à l’Eden Park et commentaire Bala-Couderc, tout le monde n’était pas à Twickenham en 1991, à Auckland en 1994, à Twickenham encore (décidemment) en 1997 et en 1999, à Johannesburg en 2001, au Cap en 2006, à Cardiff en 2007, à Dunedin en 2009 ; autant de stades où l’attaque tricolore s’enflamma, autant d’années grand cru et cousu main. Mais aujourd’hui, avec You Tube, il suffirait d’additionner les séquences pour se rendre à l’évidence.
2014, au Stade de France, comme 1994 à l’Eden Park, est un millésime à boire sans modération. Pour quelle raisons ? Parce qu’un essai est venu modifier en toute fin le cours défavorable d’un match. Parce qu’il s’agit d’un orgasme de jeu, gouteux, quelque chose de strident, d’inouï, d’impossible à nommer autrement que par cette expression effectivement passe partout : French Flair.
Invention d’un journaliste anglais du début des années 60, quand la France dominait le Tournoi des Cinq Nations, que Bala et Boni en bonne compagnie donnaient aux Rosbifs le tournis. Catégorie utile pour ranger tout ce qu’ils ne comprenaient pas, les Anglais, ce langage des mains et des hanches tel que sublimement exprimé par le centre varo-toulousain Gaël Fickou, samedi soir, en bout de ligne.
Moi, j’y crois. Parce que je l’ai vu. Et nous sommes nombreux dans ce cas. Le French Flair apparait régulièrement à qui suit le rugby. C’est une inspiration collective faite d’angles brisés, de courses rentrantes, de regards perçants, de passes huilées. Une fresque rougeoyante nourrie par le feu roulant ; une idée partie d’un ballon tombé et communiée.
Ce brasier des passions, c’est pour lui et parfois rien que pour lui que j’aime ce sport, même, encore plus et surtout quand il est malheureusement victime de son temps. Pour l’instant de magie qu’il procure, partie immergée des valeurs – solidarité, engagement –  sans lesquelles il n’y a pas d’équipe. Il est éruption et irruption. Irruption du talent, éruption de joie quand tout semble fini, quand Nyanga surgit, que Szarzewski perce et fixe, quand Fickou aplatit. C’est beau comme un samedi de Tournoi à Saint-Denis.

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De justesse

Enfin, c’est arrivé ! Depuis qu’ils ont accepté de devenir les adjoints de Philippe Saint-André auprès de l’équipe de France, Patrice Lagisquet et Yannick Bru se sont sentis entraîneurs. Ça leur était déjà un peu arrivé, m’a avoué le Biarrot, dimanche dernier, à Marcoussis. Lors de la tournée de juin 2013 en Nouvelle-Zélande. A l’occasion d’un ou deux entraînements. Mais jamais dans la continuité.
Pour la première fois, donc, au Canet-en-Roussillon, lors du stage d’avant-Tournoi, Bru et Lagisquet ont bossé comme ils en avaient l’habitude avec Toulouse et Biarritz. Avec cette exigence qui les caractérise, ils ont pu faire travailler leurs joueurs sur les détails qui font le sel du très haut niveau. Pour ne prendre qu’un exemple, les trois-quarts tricolores ont touché – enfin – du doigt une forme d’absolu.
Chronomètre en main, Patrice Lagisquet leur a demandé d’acheminer le plus rapidement possible le ballon en plein course. Du demi de mêlée à l’ailier. Après quelques répétitions, les attaquants tricolores sont parvenus, d’après leur coach, à assurer des passes sèches dans le berceau des mains, courses rentrantes et buste haut. En me disant cela, «Lagisque», volubile, avait le sourire.
Justesse. Tel est désormais le credo des entraîneurs du XV de France ! Ils ont vu défiler tellement de passes approximatives, de placements erratiques, de coups de pieds dévissés, de rucks au plongeoir et de combinaisons bafouillées en 2013 que cette année, l’accent – grave – est porté sur la qualité technique. En conférences de presse, PSA, Lagisquet et Bru ne couvriront plus, désormais, les défaillances individuelles de leurs joueurs.
Jamais un groupe France n’a eu autant à consacrer à un match du Tournoi. Deux semaines non-stop à effectif complet, mis à part la parenthèse des sept renvoyés le week-end dernier dans leurs clubs. Il n’y aura donc aucune excuse en cas de défaite, samedi, au Stade de France, face à l’Angleterre. Les Tricolores, joueurs et staff, jouent gros d’entrée. Heureusement, pour une fois, la préparation a été à la hauteur du challenge.
Nous regarderons donc à la lumière des exigences identifiées le contenu de ce Crunch, «le match le plus important depuis que je suis entraîneur de l’équipe de France», précise PSA. En espérant que de Thomas Domingo à Brice Dulin, les Tricolores sachent et puissent enchaîner quatre-vingt minutes durant les gestes justes à pleine vitesse. Ce qui fait la force – «position, possession, pace» – des All Blacks
«Pace». Autrement dit rythme. Plutôt que vitesse. Cette notion induit un tempo collectif maintenu, une chaîne de courses sans ballon et de passes, de placements et de prise de la ligne d’avantage. Ce qu’on appelle l’art d’attaquer. Un savoir-faire que le staff tricolore – qui a été très tolérant pendant deux ans – exige désormais.

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Mots, maux, émoi


Les équipes obéissent à une dynamique de groupe qui dépasse la simple mise en place d’un plan de jeu ou d’une organisation tactique. On a pu le constater le week-end dernier à la lumière des performances des clubs français en H-Cup, compétition miroir proposée à notre réflexion dans laquelle se mirent forces et faiblesses.
Ecartons Racing-Métro, Perpignan, Castres et Montpellier qui s’ébrouaient sans enjeu – mais non sans envie – pour concentrer le propos sur les trois gros à la table des quarts. Comment analyser la production de ces équipes expérimentées et gorgées d’internationaux ? Comment représenter à l’aide de mots la performance minimaliste de Toulon, euphorique de Clermont et celle, tétanisée, de Toulouse ?
Le premier regard se porte vers la composition. Particulièrement sur deux associations : la paire de centres et la troisième-ligne. Ces cinq joueurs-là ne conduisent pas le jeu – c’est le boulot de la charnière – ils l’articulent. En mode majeur s’ils assurent les liaisons, créent les variations, modulent les fugues. En mode mineur s’ils se limitent au défi frontal, repiquent à l’intérieur, conservent le ballon.
Par et avec eux s’alourdit ou s’accélère le jeu, selon qu’ils choisissent, ou pas, la clé de sol, ce passage à terre qui permet à la défense de se replacer à partir du ruck initié par le porteur du ballon, bref moment qui tape, certes, mais ralentit un tempo. Après avoir imaginé les fruits que peut porter le mariage des centres et de la troisième-ligne, considérer leur attitude au contact permet de distinguer assez nettement le dessein tactique d’une équipe.
Pour la troisième lecture en direct d’un match, j’utilise l’analogie avec les douze sons de la gamme. Non pas que Arnold Schoenberg soit mon maître d’écriture mais j’aime assez l’idée que chaque son puisse être unique, noté sans altération, avec sa propre vie, sans être obligé d’exister dans une tonalité fixée. Ainsi la liberté est laissée à chaque joueur d’apporter son talent, sa vista, sa griffe.
Neuf registres établissent le texture d’une équipe: pilier, talonneur, deuxième-ligne, flanker, numéro huit, demi de mêlée, ouvreur, centre ou ailier-arrière. Le nombre de mauvais choix individuels, de fautes de mains, de pénalités concédées, de placements erratiques et d’impacts subits affaiblit la performance collective. A contrario, une inspiration, une impulsion, la justesse technique, la vivacité, le placement judicieux et le gain de la ligne d’avantage tirent le reste de l’équipe vers le haut. Cette utilisation du bémol et du dièse permet d’évaluer combien de joueurs d’une équipe sont en dessous ou au-dessus du niveau requis.
Pour écrire s’effectue en permanence l’aller-retour du collectif vers l’individuel, de la partition d’ensemble vers l’exécution technique. Comme dans toute œuvre – et un match de rugby en est une – s’impose la nouveauté, l’innovation, voire la création qui placent une équipe en avance sur son temps. Ce peuvent être une poignée de combinaisons inédites, des options tactiques osées. Ou alors la rencontre est affaire de coups de sifflets, de buteurs et de gain de terrain, le genre rebattu, trempé dans le formol et soporifique. Une œuvre de suiveurs, pas d’acteurs.
Ce week-end dernier, Toulon s’est réfugié dans son registre collectif le plus conservateur, Toulouse, de son côté, oubliant que la justesse technique prélude à toute option tactique. Seul Clermont, d’entre les clubs français en lice, a su allier les registres – mental, physique, technique, tactique ; chaque joueur apportant ce dièse qui éclaire les grands matches.
Résumer une rencontre ou une performance individuelle, c’est radicaliser le propos, ou alors rien ne s’impose, sinon la léthargie, auquel cas 140 signes suffisent pour un court bilan. Pas concilier mais plutôt reconnaître les aspects marquants, les aspérités, ce qui ressort et nous touche. Steve Coogan, scénariste de Philomena – long métrage sur la foi et le pardon – attaqué par des extrémistes à l’issue de la projection, a dit : « Il est important que les intolérants n’aiment pas le film. Car il n’est pas pour eux.» Je fais mienne cette formule. Elle tape sur les lignes de mes comptes rendus.

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L’élite se délite

J’aurais aimé écrire, cette semaine, sur le choix judicieux et pertinent de la LNR de remettre en jeu il y a un mois l’appel d’offre des droits télévisuels, mais c’est au contraire une interruption de procédure de commercialisation qui secoue aujourd’hui le PAF, avant que cet appel d’offres, jugé illégal, ne s’écroule de lui-même. Au final, cette passe d’armes débouchera sur une reprise attendue des négociations avec Canal +, comme si de rien n’était.
J’aurais aimé évoquer avec vous la décision conjointe des comités d’éthique de la FFR et de la LNR d’interdire aux entraîneurs et managers en activité auprès des équipes de France, dans le Top 14 et la ProD2 d’être consultants, rémunérés, à la télévision, à la radio et pour la presse écrite. Mais malheureusement, le don d’ubiquité médiatico-technique est tout à fait soluble dans le rugby d’élite.
J’aurais aimé souligner le haro immédiat et unanime à l’encontre de ce coach du RCT coupable d’avoir, à deux reprises, insulté un arbitre, de son passage d’urgence devant la commission de discipline et des quinze matches de Fédérale qu’il aura à arbitrer d’ici la fin de la saison pendant que son équipe disputera le Top 14, phase finale incluse. Mais je suis encore dans l’attente de sa convocation.
J’aurais aimé vous parler des performances, bluffantes, de Clément Poitrenaud, Jean-Marcellin Buttin, Rémi Lamerat, Ibrahim Diarra, Mathieur Babillot, Rémy Grosso, Sébastien Tillous-Borde et Alexandre Lapandry…  Sept hommes en forme. Mais à quoi bon frapper un coup d’épée dans l’eau : il y a peu de chance qu’ils attirent l’attention des sélectionneurs, occupés à peaufiner le stage de préparation du Tournoi, à Canet-en-Roussillon.
J’aurais aimé noter dans ce blog la prime donnée aux jeunes pousses du rugby français à l’occasion des matches sans enjeux du week-end prochain, mais la conversation tourne toujours autour du recrutement prochain de Sean O’Brien, Leigh Halfpenny, Gio Aplon, Zac Guilford et Francis Saili. Sans oublier l’arrivée d’un préparateur physique anglais sur la Rade. Le casting du prochain Top 14 fait déjà les gros titres alors que l’actuel Championnat attaque tout juste sa phase retour.
J’aurais aimé conclure sur un rugby français qui marche tête haute et buste droit, du présent aux mains de compétences, d’un sport qui fait de ses valeurs immarcescibles une plate-forme éclairée, de ce sillage ouvert par quelques visionnaires, d’un avenir où le sens commun l’emporte sur les intérêts particuliers. Mais j’ai plutôt l’impression, confuse, en ce début d’année 2014, que l’ovale – devenu d’élite – se délite.

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Plein nord

L’épicentre du rugby se trouve maintenant au nord, très au nord, si l’on considère les critères ovales historiques qui ne prennent pas vraiment en compte le fait que la région parisienne est un creuset majuscule. Et si on veut être encore plus précis, il suffit de parcourir la liste des trente joueurs appelés en stage fin janvier par Philippe Saint-André pour constater que le premier rebond bleu tombe à Jean-Bouin.
Le pilier Rabah Slimani, 24 ans ; le deuxième-ligne Alexandre Flanquart, 24 ans ; l’ouvreur Jules Plisson, 22 ans ; l’arrière Hugo Bonneval, 23 ans. L’avenir du XV de France en culotte courte s’ébroue Porte de Saint-Cloud, c’est une évidence. Encadré par un éternel espoir, Antoine Burban, 26 ans, et l’ex-capitaine tricolore, Pascal Papé, 33 ans, figure tutélaire.
Il n’y a pas de bons becs qu’à Paris, reçoit-on de province. C’est sans doute pour ne pas froisser ceux qui s’expriment en langue d’oc que le staff tricolore, présidé par le catalan Jean Dunyach, installera ses quartiers d’hiver à Canet-en-Roussillon. Histoire aussi d’éviter que trois semaines à Marcoussis, du 19 janvier au 9 février, se transforment en roupillon.
Alors, François Trinh-Duc, là-dedans, me direz-vous ? Et bien si vous voulez voir du jeu, allez à Montpellier. C’est ce que disait le Tarnais Lucien Mias quand on lui parlait de Lourdes dans les années 50. Le héros de l’Hérault n’entre pas dans les plans de PSA. Ou alors pour un plan de départ à la retraite anticipée. Promu par Lièvremont pendant trois saisons contre l’avis de tous, puis dégradé lors du Mondial 2011 alors qu’il était à l’acmé de son talent, le voilà crucifié par Saint-André après un an d’essai. Ca ressemble fort à un désaveu.
Sans remonter à Dédé Boni et Jo Maso, les grands parias du Quinze de France ont toujours fini par s’imposer comme des évidences, que ce soit Laurent Cabannes, Alain Penaud, Fabien Galthié ou Frédéric Michalak. Il faudra juste, concernant François Trinh-Duc, qu’il arrête dans un premier temps de se faire intercepter ses passes et qu’il continue d’inscrire en club des buts de pénalité dans le money-time.
Il y a sans doute aussi autre chose, une difficulté à s’inscrire dans le jeu bleu tel que voulu par Patrice Lagisquet, cette incapacité à rassurer ses partenaires et parfois à les trouver à ses côtés, l’impression, sans doute fausse, qu’il donne de se placer au-dessus des contingences. Rien de rédhibitoire quand ça gagne. Sauf que l’équipe de France a besoin de certitudes à la charnière, c’est historique, pas de solistes, aussi géniaux soient-ils.
Ronald Poulton-Palmer, le plus brillant ouvreur anglais d’avant l’ère moderne (Barnes, Andrew, Wilkinson), s’étonnait de ne pas être le premier choix de ses condisciples de l’université d’Oxford. Quand il leur posa la question de savoir pourquoi il n’était pas titulaire, il s’entendit répondre : « Tu es sans aucun doute le meilleur d’entre nous, mais nous jouons mieux sans toi. » C’est aussi ce que Pierre Berbizier, qui connait ses classiques, avait rétorqué à Penaud, au début des années 90.
En rugby, sport collectif, une équipe n’est pas la somme de talents. Il y a des liens qui comptent, des affinités qui pèsent. On se souvient de la Berjallie (Bonnaire, Papé, Nallet, Parra) prenant le pouvoir du jeu et des tripes lors du Mondial 2011. PSA, en appelant une nouvelle vague très parisienne (j’ajoute Kayser, Bastareaud, Szarzewski, Le Roux, Machenaud, Fofana, dont les racines ou les ailes sont franciliennes), tisse, début 2014, une nouvelle fibre. Capitale.

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